« Vers une organisation industrielle durable »

Interview du Professeur Daniel Brissaud du 03 mars 2015
Par Laurent Mellah, Service&Sens
Pouvez-vous définir en quoi l’économie de la fonctionnalité est un atout pour une organisation industrielle durable ?
L’économie de fonctionnalité est définie comme le remplacement de la vente de biens par la vente de leur usage. Elle présente alors certains avantages qui en font aujourd’hui une stratégie industrielle capable de réconcilier entreprise et société. En effet, l’économie de fonctionnalité peut logiquement apparaître comme voie de développement durable réconciliant croissance économique et environnement. Ainsi, un producteur qui vend des biens a intérêt à en vendre le plus possible et donc à en raccourcir la durée de vie (obsolescence programmée) alors que le producteur qui en vend le seul usage (service) a intérêt à en allonger la durée pour diminuer son coût de production.
Dès lors, la modification de l’origine du bénéfice pour le producteur (le bien dans un cas, la fonction d’usage dans l’autre) apporte de profondes modifications aux modèles économiques : maintien de la propriété du support matériel et donc responsabilité élargie du producteur, modification de l’organisation interne de l’entreprise et facturation en fonction de l’intensité d’usage. Le passage à l’économie de fonctionnalité peut ainsi ouvrir la voie à une réduction des consommations de ressources (réduction des flux de matières et d’énergie) et des impacts environnementaux associés.
Pouvez-vous nous donner des exemples de pionniers industriels reconnus ?
Parmi les cas industriels réussis, c’est l’offre Michelin qui semble la plus aboutie. Michelin facture les kilomètres parcourus par les camions équipés de ses pneus au lieu de les vendre. Pratiquement, cette entreprise, pour une partie minoritaire de son activité, propose un service d’usage de maintenance des pneus chez ses clients dans le domaine du fret routier. Elle assure le regonflage, le re-creusage, et le rechapage des pneus ainsi que leur récupération en fin de vie. La prestation de service de Michelin permet de réduire de manière significative la consommation du nombre de pneus et les consommations de carburant des camions (ces performances sont contractualisées).
Cela implique-t-il des modèles économiques différents ?
Partant d’une réflexion autour de la fonction du produit et de sa place dans le processus de l’entreprise cliente, les entreprises ont implémenté des modèles économiques différents. Xerox avec sa vente de copies a anticipé la réutilisation de composants comme principe de conception des photocopieurs. Michelin n’a rien changé aux pneus mais optimise en aval un processus de maintien en service. Elis joue sur les deux tableaux : en amont des produits optimisés et personnalisables, en aval un processus de mise à disposition efficace et tout aussi optimisé.
L’économie de la fonctionnalité ne serait-elle pas un frein à l’innovation ?
L’économie de fonctionnalité empêcherait l’innovation puisqu’on garde le même produit longtemps ! Pas du tout, le produit est maintenant couplé au service et c’est l’ensemble du système qui est innovant : Velib n’est-il pas une innovation de rupture ? Mais c’est aussi à partir du service de maintenance que de nombreuses offres sont apparues : Rolls Royce et son « Powered by the hour », MAN et son « Comfort Service » apportent des solutions globales entièrement nouvelles. Garder la main mise sur le produit tout au long de son usage par le client permet d’améliorer la solution en permanence, voire en y ajoutant de nouvelles fonctions.
L’économie de la fonctionnalité a-t-elle un impact réel sur l’environnement ?
Ces économies de fonctionnalité se caractérisent par des principes communs qui permettent des gains environnementaux résultant de moindres consommations de ressources et d’une réduction des impacts environnementaux associés :
- Professionnalisation de la maintenance. Le passage à une gestion externalisée entraîne un changement d’échelle qui rend possible une optimisation économique tout en diminuant les coûts environnementaux. Cette dimension est particulièrement intéressante lorsqu’il s’agit d’un produit dont les impacts les plus importants sont liés à la phase d’utilisation.
- Recherche d’allongement de la durée de vie des produits pour réduire les coûts de remplacement et économie la matière. Cette recherche est particulièrement intéressante lorsque la phase de fabrication est principalement génératrice d’impacts sur l’environnement. Il est à noter que l’innovation.
- Réduction du nombre de produits consommés grâce à un meilleur taux d’usage des produits mis à disposition. Elle résulte soit d’une croissance du nombre d’utilisateurs, soit d’une offre multiservice.
- Optimisation du comportement de l’utilisateur grâce à une meilleure perception du coût global d’un produit et une meilleure formation à l’utilisation du bien. Les gains environnementaux sont rendus possibles par les écotechnologies mais ne sont effectifs que par les éco-usages. Les gains en carburant et en pneus sont créés par la conduite raisonnable et raisonnée des chauffeurs de camions. Les gains en papier des copieurs sont possibles grâce à l’usage responsable des utilisateurs.
Mais attention, les risques inhérents à la complexification de la logistique et de la « supply chain » doivent par ailleurs être envisagés pour ne pas annihiler les gains potentiels.
A propos du Cluster Gospi (Gestion et Organisation des Systèmes de Production et de l’Innovation)
Le cluster Gospi est un réseau de recherche pluridisciplinaire (sciences pour l’ingénieur, sciences humaines et sociales, informatique) sur les processus industriels d’innovation, de conception, de production et de logistique.
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