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Produits et Services : les vieux mythes et les nouvelles réalités

Produits et Services : les vieux mythes et les nouvelles réalités

1. Introduction : la fin d’une frontière artificielle

Pendant des décennies, le monde académique et professionnel a entretenu une frontière nette entre deux univers : celui des produits et celui des services.
Les premiers étaient considérés comme des biens tangibles, fabriqués en usine, stockables et transférables.
Les seconds, comme des prestations immatérielles, éphémères et dépendantes de l’interaction humaine.

Cette distinction, héritée du XXᵉ siècle industriel, a structuré les stratégies marketing, les modèles économiques et même les formations en gestion.
Mais le XXIᵉ siècle, marqué par la digitalisation, la dématérialisation et la montée de l’économie de la fonctionnalité, remet en cause ces schémas binaires.

L’article « Product versus Service: Old Myths versus New Realities » (Khan et al., 2014) propose une relecture critique de ces catégories traditionnelles.
Les auteurs y démontrent que les fameuses caractéristiques IHIP – Intangibilité, Hétérogénéité, Inséparabilité et Périssabilité – ne résistent plus à l’épreuve des faits.
À travers cette réflexion, ils ouvrent la voie à une compréhension plus intégrée du couple produit-service, désormais indissociable dans la plupart des organisations.

2. IHIP : quatre piliers d’un paradigme dépassé

a. L’intangibilité : une illusion devenue obsolète

Pendant longtemps, on a défini les services comme immatériels.
Cette idée, formulée dès les années 1970 (Hill, 1977 ; Berry, 1980), supposait qu’un service n’existe que dans la relation entre le prestataire et le client, sans support physique.
Or cette approche ne tient plus.

L’intangibilité, d’abord, n’est pas propre aux services.
Une composition musicale, un logiciel, un brevet ou une formule chimique sont des produits intangibles mais bel et bien “vendus”.
Inversement, de nombreux services reposent sur des supports matériels : un hôtel propose une chambre, un coiffeur utilise des outils, un chirurgien opère dans un bloc équipé.

De plus, les technologies ont rendu les expériences pré-achat plus tangibles.
Grâce à la réalité virtuelle, aux avis clients ou aux visites en ligne, le consommateur peut désormais “tester” un service avant de l’acheter.
Autrement dit, l’intangibilité n’est plus un critère distinctif fiable.

b. L’hétérogénéité : quand la standardisation s’invite dans le service

Le deuxième pilier du modèle IHIP, la variabilité ou hétérogénéité, repose sur l’idée que chaque service est unique, car dépendant des individus et du contexte.
Levitt (1972) opposait ainsi la production en série (homogène) des usines à la livraison flexible (hétérogène) des services.

Mais là encore, la frontière s’estompe.
Les chaînes comme McDonald’s ou Starbucks ont démontré qu’un service pouvait être standardisé au niveau mondial.
De même, dans l’industrie, la personnalisation de masse – ou mass customization – a rendu de nombreux produits aussi “variables” que les services.

En réalité, l’hétérogénéité n’est plus une question de nature, mais de degré de contrôle du processus.
Un produit sur mesure ou un service automatisé peuvent présenter la même homogénéité ou la même diversité d’expérience.

c. L’inséparabilité : une co-production à géométrie variable

L’un des arguments les plus ancrés du marketing des services est celui de l’inséparabilité : un service serait produit et consommé simultanément, contrairement à un produit qui peut être stocké.

Cette idée était pertinente à l’ère du face-à-face.
Mais elle s’effrite depuis l’émergence des services modulaires, automatisés ou externalisés.
Une lessive livrée par abonnement, un support client dématérialisé ou un service bancaire en ligne ne nécessitent plus de coprésence.

Les auteurs rappellent que même au sein des services “traditionnels”, la coproduction n’est pas universelle :
l’électricité, la distribution d’eau ou la livraison postale ne requièrent aucune interaction directe entre producteur et utilisateur.

De même, certains produits — notamment les objets connectés — impliquent désormais une interactivité continue avec le fabricant.
L’inséparabilité s’inverse : le produit devient service.

d. La périssabilité : la fin du mythe de l’instantanéité

Enfin, la périssabilité, dernier pilier du modèle IHIP, désignait la supposée impossibilité de stocker un service.
Une heure de conseil, une place d’avion non vendue ou un rendez-vous médical perdu seraient, par nature, irrécupérables.

Mais la réalité est plus nuancée.
Certains services produisent des effets durables (un nettoyage laisse un espace propre ; une formation modifie les compétences ; une réparation prolonge la vie d’un bien).
Inversement, des produits à obsolescence rapide (technologique ou programmée) peuvent se révéler plus “périssables” que bien des services.

Les auteurs concluent : aucune des caractéristiques IHIP ne permet aujourd’hui de tracer une ligne de séparation universelle entre produit et service.

3. Vers une compréhension plus fine : processus, résultat et interaction

a. Processus versus résultat : une fausse opposition

Certains chercheurs, comme Gronroos (1998) et Gadrey (2000), ont tenté de déplacer le débat. Ils distinguent non plus la nature du bien, mais la dynamique de sa création. Le produit serait un résultat tangible, tandis que le service serait un processus – une performance vécue.

Mais là encore, cette distinction vacille.
Un produit est aussi le résultat d’un processus industriel ; et un service, même interactif, aboutit à un résultat observable (réparation, livraison, transformation…).
L’opposition entre “processus” et “résultat” est donc davantage symbolique qu’économique.

b. L’interaction comme fondement commun

Un autre axe de réflexion porte sur l’interaction entre producteur et consommateur.
Dans les services, le client participe activement à la création de valeur – on parle de co-production.
Le patient “fournit” son corps au chirurgien ; l’élève “co-produit” son apprentissage ; le client d’un logiciel “entraîne” l’outil par ses usages.

Mais les auteurs rappellent que cette co-production n’est pas propre aux services.
Dans l’industrie, le client intervient aussi dans la conception de produits personnalisés, dans les tests, ou par ses données d’usage.
L’expérience client devient ainsi la matière première de la valeur, quel que soit le secteur.

c. La propriété et la transférabilité : de nouveaux critères

Peter Hill (1999) propose une autre approche : la distinction entre biens possédés et services utilisés.
Les biens – qu’ils soient tangibles ou intangibles – sont caractérisés par la possibilité de transférer la propriété ; les services, eux, relèvent d’un droit d’usage temporaire.

Ce critère est éclairant, mais il rencontre lui aussi des limites :
le leasing, la location longue durée, les abonnements ou les licences logicielles floutent la notion même de propriété.
Le client n’achète plus un objet ; il accède à une fonction, un résultat, une expérience.

Autrement dit, la valeur d’usage supplante la valeur d’échange.

4. L’imbrication croissante entre produits et services

a. La servicialisation (ou servicisation) des entreprises industrielles

Les auteurs soulignent un tournant majeur : la fusion progressive entre fabrication et service.
Aujourd’hui, plus de 70 % de la main-d’œuvre des pays industrialisés travaille dans le secteur tertiaire.
Même dans l’industrie, jusqu’à 75 % des salariés occupent des fonctions à caractère serviciel : maintenance, support client, logistique, conseil, etc.

Les raisons de ce basculement sont multiples :

  • La saturation des marchés de produits : face à la concurrence mondiale, les marges se déplacent vers les services à forte valeur ajoutée (contrats de maintenance, extensions de garantie, formation, etc.) ;
  • La recherche de fidélisation : les services permettent de créer une relation durable avec le client ;
  • Les enjeux environnementaux : en réduisant la consommation de matières premières, la servicialisation s’inscrit dans la logique de l’économie circulaire et de la dématérialisation ;
  • Les innovations technologiques : l’IoT, l’IA et la connectivité transforment les produits en plateformes de services.

b. Du produit support au service cœur de valeur

Le produit devient alors vecteur d’un service global.
Une machine industrielle ne se vend plus comme un bien, mais comme une capacité de production garantie.
Un constructeur automobile ne vend plus seulement un véhicule, mais une mobilité assurée.
Un éditeur logiciel ne vend plus une licence, mais un usage évolutif et sécurisé.

Cette logique de Product-Service System (PSS) traduit la convergence évoquée par Sundbo (1994) : les organisations manufacturières et de services adoptent des modèles de plus en plus proches, modulaires et coopératifs.

c. Les défis de la transformation servicielle

Cette mutation n’est pas sans risques.
Passer d’une logique de vente à une logique de relation et de performance suppose :

  • une réorganisation interne (processus, compétences, management, culture) ;
  • une nouvelle gouvernance économique (contrats de service, partage des risques) ;
  • une intégration technologique accrue (données d’usage, maintenance prédictive, IA) ;
  • et surtout, un changement de posture managériale, orientée vers la coopération avec le client.

Comme le rappelle Brax (2005), cette transformation ne peut être révolutionnaire : elle exige un accompagnement progressif et une maturité organisationnelle.

5. Dépasser le débat : vers une économie intégrée de la valeur

Les auteurs concluent que la distinction “produit vs service” relève désormais du mythe.
La réalité économique contemporaine ne se divise plus entre biens et prestations, mais entre modèles de création de valeur.

Un même objet peut être vendu, loué, partagé, ou intégré dans un écosystème serviciel.
L’important n’est plus ce qui est vendu, mais comment la valeur est co-produite, distribuée et perçue.

Cette approche annonce le paradigme de la Service-Dominant Logic (Vargo & Lusch, 2004), selon lequel la valeur n’est plus contenue dans l’objet mais co-créée dans l’usage. Le produit n’est plus qu’un support, un médium, une interface.

Ainsi, toute entreprise devient un fournisseur de service, qu’elle produise de la nourriture, des logiciels, des équipements médicaux ou des infrastructures.
Et inversement, les acteurs du tertiaire recourent à des processus industriels pour assurer qualité, performance et scalabilité.

6. Conclusion : déclarer la victoire, et repenser la distinction

Après un demi-siècle de débats, la recherche converge :
il est impossible de définir universellement ce qu’est un service sans exclure des réalités qui en relèvent pleinement, ni inclure des produits qui lui ressemblent.

Les technologies, les modèles d’affaires et les attentes sociétales ont définitivement brouillé les lignes.
La valeur se loge désormais dans l’expérience, la relation et la performance d’usage.

Comme le suggérait Lovelock (2004), plutôt que de chercher à sauver une frontière artificielle, il est temps de “déclarer la victoire” : celle d’une économie mixte, intégrée, où produits et services ne s’opposent plus mais se renforcent mutuellement.

Dans cette perspective, les entreprises doivent se penser non plus comme des “vendeurs de biens” ou des “prestataires de services”, mais comme des architectes de solutions - capables d’orchestrer ressources matérielles, immatérielles et humaines pour produire une valeur durable, partagée et évolutive.

Références inspirantes

Les principales sources de cette réflexion sont issues de :

  • Khan, M.K., Nawaz, M.R., Ishaq, M.I., & Tariq, M.I. (2014). Product versus Service: Old Myths versus New Realities.
  • Lovelock, C. & Gummesson, E. (2004). Whither Services Marketing?
  • Hill, P. (1999). Tangibles, Intangibles, and Services: A New Taxonomy for the Classification of Output.
  • Gronroos, C. (1998). Marketing Services: The Case of a Missing Product.
  • Gadrey, J. (2000). The Characterization of Goods and Services: An Alternative Approach.
  • Mont, O. (2002). Clarifying the Concept of Product-Service System.
  • Brax, S. (2005). A Manufacturer Becoming Service Provider – Challenges and a Paradox.

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