webleads-tracker

Pour mieux comprendre le processus de décisions des individus, il faut mesurer… leurs émotions.

Depuis toujours, les émotions jouent un rôle majeur dans la survie de l’individu. Selon le neuroscientifique Antonio Damasio, dans « Le sentiment même de soi », « les émotions ne sont pas un luxe, mais un auxiliaire complexe dans la lutte pour l’existence ». La découverte d’un serpent sous une pierre va ainsi générer de la peur et un comportement de fuite afin de se préserver face au danger. La survie de notre espèce passe par la mise en place et la sélection de comportements adaptatifs parce que prédictifs. Les processus émotionnels, devenant capitaux pour la survie, ont été ancrés au cours de notre évolution. Nous sommes tous des descendants des survivants de l’espèce humaine. Et le tri des expériences permettant à l’individu de s’adapter aux situations nouvelles à partir des événements anciens a permis sa survie. Cette association émotion-mémorisation permettant l’expérience, et donc la survie, a fait ses preuves, et reste aujourd’hui ancrée comme un quasi-réflexe dans notre cerveau et dans notre fonctionnement cognitif. En effet, plus un événement est fort émotionnellement et plus sa mémorisation sera profonde, en comparaison à des événements neutres. Par exemple, chacun se souvient très bien de ce qu’il faisait le 11 septembre 2001 alors que le souvenir du 11 septembre 2015 est quasi-inexistant car non associé à un contexte émotionnel fort.

Comment mes émotions me conduisent-elles à agir ?

Malgré les formidables progrès dans les sciences de l’informatique, de la robotique et de l’intelligence artificielle, les sentiments et les ressentis émotionnels restent encore difficiles à modéliser. En effet, une émotion est la résultante de nombreuses réactions corporelles (provenant du système nerveux autonome) et cérébrales (impliquant des structures spécifiques comme l’amygdale). Le mot « émotion » vient du latin « motio » qui signifie « mouvement » et « e » qui signifie « qui vient de ». Autrement dit, les émotions préparent à l’action. On pourrait même dire qu’une émotion est une action en-soi (action physiologique, cérébrale, comportementale, sociale) qui influence le comportement, le raisonnement et de nombreux autres processus.

Seules sept émotions primaires (la joie, la surprise, la peur, le dégoût, le mépris, la colère et la tristesse) semblent passer le test des différences culturelles et s’imposer partout comme invariants. Ainsi, l’émotion est un phénomène sensori-moteur, impliquant un système de neurones miroirs permettant à chacun de ressentir ce qu’autrui ressent. Ce couplage entre informations sensorielles et motrices est notamment à l’origine de l’empathie. Par exemple, voir une personne triste active les mêmes neurones que lorsque l’on ressent soi-même de la tristesse. Ce couplage sensori-moteur favorise donc le partage des émotions (on parle de contagion émotionnelle observable dans les phénomènes de foule, selon Richard L. Rapson, professeur d’histoire, Elaine Hatfield, et John T. Cacioppo, professeurs de psychologie), la communication et la compréhension d’autrui.

En lien avec la transformation digitale de notre époque, la contribution des émotions aux phénomènes viraux sur les réseaux sociaux a également été étudiée par plusieurs chercheurs, dont Rui Fan, de l’université de Pékin. En analysant plus de 70 millions de mini-messages du réseau social Weibo (le Twitter chinois), recueillis auprès de 200 000 utilisateurs, il a pu établir que la colère, suivie par la joie, était l’émotion la plus fédératrice dans l’expression en ligne. Si une partie des internautes avait été sondée via des techniques quantitatives classiques, certains auraient sans doute nié avoir écrit ces messages sous le coup de la colère. Le déclaratif est intrinsèquement lié à la représentation symbolique d’un sentiment ou d’une émotion dans une culture donnée. Or, la culture va permettre le développement de certaines émotions compatibles avec le tissu social en question et inhiber d’autres émotions, plus subversives et moins intégrables socialement dans telle ou telle société. En psychologie, la désirabilité sociale est le biais qui consiste à vouloir se présenter sous un jour favorable à ses interlocuteurs. Ce mécanisme psychologique peut s’exercer de façon implicite, sans qu’on en ait conscience, ou au contraire être le résultat d’une volonté consciente de manipuler son image aux yeux des autres. Par exemple, les votants pour des partis extrêmes auraient tendance à ne pas toujours l’avouer pour conserver une image d’eux-mêmes « socialement valorisée », rapportent Jean Chiche et Benoît Riandley dans « Réflexions sur les enquêtes politiques et les enquêtes d’intentions de vote ». Pour autant, il est intéressant de tenir compte de leurs verbalisations telles quelles car elles témoignent, chez les futurs votants, d’un autre niveau de perception, plus influencé par la doxa sociale.

Comment mes émotions m’aident-elles à choisir ?

Par ailleurs, les émotions influencent également nos choix et nos prises de décision. Dans son livre intitulé « L’Erreur de Descartes : la raison des émotions », Antonio Damasio précise que « la capacité d’exprimer et de ressentir des émotions est indispensable à la mise en œuvre des comportements rationnels ». Les études menées chez le consommateur permettent d’observer la forte interaction entre émotions et décisions. Par exemple, au moins 60% des achats sont influencés par nos émotions selon Eric Falque et Sarah Jayne Williams dans « Les paradoxes de la relation client dans un monde digital ». Pour se rendre compte de ce lien étroit entre émotions et décisions, l’étude des patients souffrant de lésions cérébrales au niveau des lobes frontaux a été une source précieuse d’informations. En effet, nous savons maintenant que les lobes frontaux sont impliqués à la fois dans la prise de décision rationnelle mais aussi dans le traitement des émotions. Lors d’un test du jeu de poker, les participants sains apprennent au fur et mesure, de manière implicite, que parmi les quatre paquets de cartes, certains rapportent plus que d’autres (gains moyens mais pertes minimes) ; alors que les patients n’apprennent pas, bien au contraire, puisqu’ils préfèrent les paquets de cartes les plus risqués (gains importants mais pertes irrattrapables). De plus, l’activité électrodermale (indice physiologique du système nerveux autonome qui reflète l’intensité émotionnelle vécue) des participants sains montrent des effets d’anticipation : la réponse électrodermale augmente lorsque les participants projettent de tirer une carte du paquet à risque. En revanche, chez les patients, on ne retrouve pas ces variations anticipatrices. Il apparaît donc que chez ces patients, la décision n’a pas été enrichie par les informations émotionnelles (celle de prendre un risque ou non). L’émotion, loin d’être un fardeau pour la raison, devient son auxiliaire.

Comment les marques peuvent-elles intégrer l’émotion dans leurs systèmes de mesure ?

Dans la vie quotidienne, les émotions d’autrui sont facilement et rapidement déchiffrées à partir des expressions faciales, c’est-à-dire à partir des contractions musculaires de la face. Le visage contient 38 muscles, lui permettant d’exprimer des émotions plus ou moins subtiles et complexes. Le Facial Action Coding System (FACS) est à ce jour la méthode la plus largement reconnue et utilisée pour coder les mouvements du visage humain. Fondé sur les travaux de Paul Ekman et Wallace Friesen (1978), ce système contient une trentaine d’unités d’action principales dont les combinaisons permettent de décrire environ 10 000 expressions faciales. Même si les émotions faciales permettent un accès direct au ressenti émotionnel d’autrui, elles ne reflètent pas toujours ce que nous ressentons, et sont dépendantes du contexte environnemental et social. En effet, un sourire « de circonstance » n’exprime pas forcément de la joie mais une forme de politesse. Les expressions faciales ne sont donc pas des mesures complètement objectives de nos émotions ressenties.

Les avancées technologiques actuelles offrent la possibilité d’étudier le comportement des consommateurs et de mesurer en direct leurs ressentis émotionnels objectifs grâce à des capteurs embarqués. Rappelons d’ailleurs qu’en France, l’Imagerie à Résonance Magnétique (IRM) pratiquée à des fins commerciales est strictement interdite par la loi. En effet, la loi relative à la bioéthique, révisée en juillet 2011, annonce ceci : « Les techniques d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d’expertises judiciaires (Art.16-14 du Code civil). » Ce qui signifie que seule la recherche scientifique et médicale est autorisée à utiliser des IRM et autres scanners d’hôpitaux. Ces capteurs permettent de recueillir des bio-signaux liés au fonctionnement du système nerveux autonome, comme la fréquence cardiaque ou la réponse électrodermale, donnant ainsi des informations sur l’intensité émotionnelle vécue par le consommateur lorsque celui-ci fait ses achats, par exemple. De plus, de récents travaux promettent de décoder également la valence, c’est-à-dire le caractère positif ou négatif d’une émotion, en temps réel. Il est alors possible d’être au plus proche de ce qu’éprouve le consommateur face à un produit, une marque, une publicité, une vitrine ou même une ambiance musicale.

Ces techniques nécessitent d’être couplées avec les verbatim des consommateurs, souvent recueillis par des spécialistes en fin de parcours ou au fur et à mesure. C’est la complémentarité de ces deux approches (verbalisation et capteurs embarqués) qui permet de mieux comprendre et de décoder le comportement du consommateur. En phase de test d’outils de communication (logo, affiche publicitaire…) pour une marque, le consommateur maîtrise sa verbalisation mais n’a pas accès à son inconscient. Il peut donc de bonne foi déclarer une préférence d’achat quand bien même il aura un autre comportement devant les linéaires. C’est ce que l’on pourrait appeler l’aléa émotionnel. La reconnaissance même de l’émotion est filtrée par des phénomènes sociaux, de genre, d’appartenance à une culture etc. Mais son expression, même cachée, ne résiste pas à l’examen pratiqué via des outils non invasifs de plus en plus précis.

Illustrons notre propos par un exemple concret. Nous avons testé une publicité télévisée pour une grande marque de glace auprès de 20 participants issus de sa cible (femmes et/ou mères de famille). La marque hésitait entre une version du spot montrant une scène de dégustation avec une femme seule versus une version montrant une scène de dégustation avec des enfants. Lors des entretiens, les participantes à l’étude ont déclaré préférer la version avec les enfants. Toutefois les verbatim reposaient sur un discours post-rationalisant et justificateur : « Même si j’en consomme en tant qu’adulte, les glaces, c’est pour les enfants », « la femme seule est égoïste », « en tant que maman… », « la glace, c’est pour toute la famille, mais avant tout pour les enfants ». Nous avons donc analysé grâce à nos outils l’intensité émotionnelle réellement ressentie lors des deux scènes de dégustation. Le résultat était très clair : les participantes ont ressenti une émotion bien supérieure lors de la scène avec la femme seule (+70%) comparée à la scène des enfants. Ce qui est encore plus frappant, c’est que les femmes ayant déclaré préférer la version avec les enfants ont ressenti la même intensité émotionnelle que celles ayant assumé préférer la scène avec la femme. Preuve que ce qu’affirme le consommateur n’est pas toujours en phase avec sa véritable émotion.

Source : Ornella GodardCéline Mas

Abonnez-vous à notre Newsletter !

Vous recevrez une fois par mois la Newsletter de l'Innovation par les Services et du Management Agile.

Vous êtes désormais abonné(e) à la Newsletter de Serv&Sens.

Share This