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En 1998 naissait le concept « d’Economie de l’Expérience », annoncé comme la suite d’une économie fondée sur le produit et le service. Vingt ans plus tard, les marques ont pris conscience de son potentiel en termes de création de valeur et rivalisent d’ingéniosité pour transformer leur offre.

« Des expériences singulières, mémorables et économiquement valorisées. » En 1998, les économistes américains Joseph Pine et James Gilmore résument à travers cette formule la bascule de l’économie américaine, auparavant fondée sur la vente de produits et de services, vers une valeur intangible, l’expérience client. Leur article, publié dans la Harvard Business Review sous le titre « Welcome to the experience economy », ouvre la voie à une création de valeur inédite, à travers l’exemple d’un gâteau d’anniversaire: fabriquée via des ingrédients cultivés à domicile durant l’économie agraire, ladite pâtisserie ne coûte pas plus de quelques centimes à produire. L’ère industrielle arrive et, avec elle, les ingrédients pré-assemblés. Le gâteau revient alors à 1 ou 2 dollars. Une valeur doublée avec l’avènement de l’économie de service, lorsque l’entremets est acheté tout prêt en boutique pour 10 à 15 dollars. En 1990, aux États-Unis, le gâteau est presque oublié: les parents dépensent une centaine d’euros pour des fêtes d’anniversaires clés en main auprès de centres de loisirs tels que Discovery Zone, McDonald’s ou Hard Rock Cafe. Ainsi débute une nouvelle époque pour les marques.

« L’économie de l’expérience est née lorsque les professionnels ont pris conscience de l’alternative qui s’offrait à eux: rester dans une compétition tarifaire qui les oblige à réduire leur marge au fil du temps ou créer de la valeur afin de pratiquer des tarifs plus élevés », résume Emmanuel Richard, directeur général du cabinet Extens Consulting. La difficulté réside dans l’évaluation du tarif acceptable pour une offre intangible: « Les entreprises déploient des trésors d’ingéniosité pour faire avouer à chaque client son consentement à payer », lit-on sous la plume de Jean-Marc Vittori, dans un article intitulé « Comment l’expérience client bouscule l’économie » (Les Échos, 25?octobre?2017).

Valoriser le temps passé avec la marque

Vingt ans plus tard, en France, le concept ne s’est pas étendu aussi rapidement que l’on aurait pu l’imaginer. Certes, l’idée a fait du chemin, mais elle demeure une promesse d’avenir. Ainsi, l’institut Euromonitor estime, dans son étude intitulée « Global Consumer Survey » et publiée en 2017, que les dépenses liées à l’économie de l’expérience atteindront 8200 milliards de dollars (7197 milliards d’euros) d’ici à 2028. « Les départements dédiés à l’expérience client ont fait leur apparition il y a cinq ans, dans l’Hexagone », précise Emmanuel Richard.

En termes de valeur générée pour les consommateurs, le « time well saved » (le service se mesure en fonction du temps qu’il fait économiser au client) laisse la place au « time well spent » : le client consent à consacrer du temps à une entreprise à condition que celle-ci lui fasse passer un moment agréable. Des instants que le consommateur n’hésite pas à capturer pour se mettre en scène via les réseaux sociaux. Loin du simple carpe diem, les consommateurs investissent dans une banque d’images et de souvenirs.

Le client se présente à la fois comme l’objet et l’auteur de son propre storytelling à son entourage, soit un cercle captif et hautement engagé. L’industrie du tourisme figure parmi les secteurs précurseurs dans l’offre d’expériences mémorables. Ainsi, le Club Med promet de « faire vivre des vacances inoubliables » à ses clients. « Nous sommes ancrés dans le registre de l’expérience depuis notre création en 1950, affirme Sylvain Rabuel, directeur général France, Europe et Afrique de Club Med. La promesse n’est pas celle d’un logement commode à bas prix, mais, au contraire, de sites haut de gamme, dont les animations sont régulièrement renouvelées, à l’instar de l’activité Club Med Creactive by Cirque du Soleil, consacrée à la découverte des arts du cirque, ou d’Amazon family (activités ludiques autour des jeux d’eau, jeux de société, escape games et du lâcher prise). » Une logique payante : en 2017, Club Med enregistre la croissance la plus élevée (+6,6%) depuis 2000 en termes de nombre de clients. Durant cette période, 1,34 million de personnes ont séjourné dans l’un des 68 resorts du groupe.

Une expérience en quête permanente d’authenticité

Mais comment préserver l’authenticité de l’expérience et son caractère unique sans entrer dans l’image d’Épinal? « Il s’agit de bien connaître les aspirations de nos clients. Pour cela, il nous paraît important de les impliquer et de les associer au processus d’élaboration des activités proposées », répond Sylvain Rabuel (Club Med). Ainsi, l’entreprise mène une expérience d' »open codir »: clients fidèles et nouveaux venus sont conviés à partager leur opinion et leurs idées, notamment avant l’ouverture d’un nouveau site. Deux éditions ont eu lieu en 2017, une troisième s’est déroulée en novembre 2018.

Dans le domaine du voyage, Oui.sncf renouvelle ­l’expérience de réservation et développe, par exemple, la commande vocale depuis le téléphone et les enceintes connectées pour son assistant virtuel. « Nous travaillons l’ère de l’assistance et souhaitons devenir un agent ­invisible, ambiant, avant, pendant et après le trajet, explique Julien Nicolas, directeur France et Europe de Oui.sncf. À partir de 2019, un cinquième de nos ­interactions s’effectuera à travers un assistant personnel virtuel. »

La bascule vers une offre expérientielle apparaît plus compliquée pour les commerçants. Proposer une expérience singulière et personnalisée sans perdre son identité s’avère une question de timing. « Comment conserver son caractère unique lorsque l’on duplique un concept dans 500 points de vente, avec une grande homogénéité ? » interroge Joël Plat, ex-market leader d’Apple, codirecteur du master Relation client de l’université Paris-Dauphine. Pour ­l’expert, les marques doivent, dans leur phase de croissance, s’attacher à diffuser leur modèle. Si elles s’adaptent trop à leur environnement, leurs valeurs et leurs visions sont diluées. Dans leurs phases de relance ou de maturité, en revanche, il est temps d’adapter leur modèle, notamment en proposant des expériences davantage en phase avec les cultures locales.

Comment s’adaptent les entreprises ?

Les Apple Store (rebaptisés récemment Apple) incarnent l’évolution de l’offre expérientielle en magasin depuis leur lancement en 2001. « Au départ, ils ont été moqués, car on pensait que des lieux dont la vocation n’était pas de vendre allaient péricliter très rapidement », se souvient Joël Plat. Les boutiques abritent un mélange entre vente, prévente, formation, rencontre (autres clients, performers, photographes, designers, chanteurs, sportifs, événements).

« Au départ, les Apple Store ont été moqués, car on pensait que des lieux dont la vocation n’était pas de vendre allaient péricliter très rapidement », Joël Plat (ex-market leader d’Apple)

En mai 2017, le programme Today at Apple met un terme à la question du « droit d’entrée »: les sessions de formation (16000 ateliers par jour à travers le monde), qui étaient auparavant payantes dans le cadre d’un abonnement annuel, deviennent gratuites. « Apple souhaite intégrer ces magasins dans leur communauté et leur environnement. Il faut voir cela comme un investissement à long terme dans la relation, qui génère un attachement à la marque », ajoute l’ex-market leader. Si la rentabilité du programme n’est pas communiquée, certains Apple Store dénombrent jusqu’à 100000 visiteurs par semaine. À titre indicatif, en 2016, la rentabilité moyenne de l’enseigne atteignait 61 380 dollars (56772 euros) au mètre carré, selon la société américaine RetailSales.

Au-delà de sa valorisation financière, la richesse d’une expérience se mesure en fonction de la participation du client, et de la connexion qui existe entre ce dernier et son environnement. Ainsi, un divertissement est vécu de manière passive. Le spectateur demeure dans l’absorption de contenus et non dans l’immersion. Un événement éducatif (cours, formation) implique une plus grande participation, mais toujours aucune immersion. À l’inverse, être invité à jouer dans une pièce de théâtre ou un orchestre implique à la fois une participation active et une immersion complète.

À noter, cependant, « le concept d’expérience client n’est pas nécessairement perçu comme tel par les consommateurs », relève Emmanuel Richard (Extens Consulting). L’expert met en garde contre la transposition d’un vécu inconscient en verbatims exploitables dans le cadre d’enquêtes de satisfaction. « Pour les clients, pas de distinction entre le produit, le service et l’émotion créée. » Au final, les entreprises gagnantes seront celles qui sauront rétablir un continuum entre l’expérience proposée, duplicable, et l’expérience vécue, toujours singulière. 

Source : relationclientmag.fr

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