« Préserver le travail et le produire en France »

Interview de Sylvie Grandjean, vice-présidente du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti)
Par Mallory Lalanne, Les Echos Entrepreneurs
Ingénieure diplômée de l'université Stanford, Sylvie Grandjean a commencé sa carrière aux Etats-Unis, puis en Europe, dans des secteurs industriels de pointe. En 1995, elle rejoint le groupe Redex , un groupe international spécialisé dans la fourniture de solutions de haute technologie pour les industries qui dispose de deux usines en France, de trois sites en Slovaquie, en Allemagne et aux Etats-Unis. Au sein de Redex, elle a entre autres développé et restructuré des filiales en Europe et dans les pays émergents et dirigé la filiale en Chine. Elle est aujourd'hui directrice générale de l'entreprise.
Parallèlement à ses responsabilités chez Redex, Sylvie Grandjean est vice-présidente du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti) depuis 2017 et présidente de l'association de gestion du Centre de formation des apprentis (CFA) des universités en Centre-Val de Loire. En reconnaissance de ses contributions, elle a été décorée de la Légion d'honneur en 2014.
Quelle est la feuille de route du Meti pour 2025 ?
Le Meti regroupe des entreprises de taille intermédiaire qui ont une vision à long terme. Cette perspective oriente nos actions et nos objectifs. Face aux incertitudes qui persistent, à la concurrence internationale qui s'intensifie, il est impératif de confirmer la dynamique du redressement compétitif de la France initiée il y a une dizaine d'années.
Notre priorité est de préserver le travailler et le produire en France. Les ETI sont implantées pour 75 % d'entre elles dans les territoires et ont tissé des relations durables avec leur écosystème territorial. Cette priorité du produire en France implique de traiter, notamment, la question du coût du travail qualifié qui ne doit pas être chargé comme il l'est actuellement, et de travailler sur la simplification. Ce chantier constitue un vrai gisement d'allègement de coûts. Or, il n'a pas donné lieu à des avancées tangibles à ce stade, au contraire.
Quelle est l'urgence ?
La stabilité réglementaire… il faut donner une chance aux ETI de s'inscrire dans le long terme et de bénéficier de visibilité. L'environnement normatif est devenu totalement ingérable. A court terme, nous avons à traiter un sujet très lourd : celui de la mise en œuvre de la CSRD, la réglementation sur le reporting extra-financier. L'inflation des obligations déclaratives, si elle est décorrélée des moyens des ETI, risque de brider leur engagement pour la durabilité plutôt que de l'encourager.
Nous ne souhaitons pas contourner cette réglementation européenne, et nous éloigner de son but, louable, d'encourager une économie durable. Toutefois, cet objectif doit être en adéquation avec nos forces et notre réalité et doit être proportionné aux moyens des ETI. Il faut monter en puissance de manière échelonnée, revoir le nombre de données à collecter, organiser des études d'impact selon la taille de l'entreprise pour voir ce qui est réalisable et ce qui ne l'est pas.
Pour trouver des solutions ensemble à l'échelle européenne, pour apporter aux décideurs des données et leur permettre de prendre des décisions éclairées, nous allons continuer à travailler sur la construction d'un Mittelstand européen. Même si la Commission européenne intègre progressivement un agenda spécifique pour les « small midcaps », la catégorie des ETI n'est pas encore reconnue à l'échelle européenne. Notre objectif est qu'elle le soit.
Plus de la moitié des Etats membres européens n'ont pas encore transposé la CSRD. Il y a une réticence légitime à aller vers un dispositif dont on ne connaît ni la finalité ni les modalités d'exploitation. La France, quant à elle, a surtransposé en ajoutant un volet pénal, certainement pour se présenter comme le bon élève de l'Europe.
Cette inflation réglementaire et cette conjoncture ont-elles déstabilisé les ETI ?
Budget qui change, climat normatif grandissant, manque de visibilité sur la formation, pression fiscale accrue… : tout cela fait que les entreprises se retrouvent dans une situation instable, hésitent et repoussent leurs décisions. Nous avons su traverser l'épidémie de la Covid, les conflits géopolitiques, la crise liée à l'énergie, mais cela commence à vaciller. Au troisième trimestre 2024, nous avons enregistré 70 % de baisse d'investissement, avec un volume total pour la catégorie au plus bas depuis trois ans. Une société sur deux anticipe un chiffre d'affaires en repli. 60 % des ETI disent par ailleurs que leur rentabilité s'est dégradée sur un an.
Notre capacité de résistance n'est pas illimitée, d'autant plus que nous sommes en compétition avec des entreprises internationales, asiatiques ou américaines, qui sont boostées pour créer de la valeur et qui n'évoluent pas dans un environnement de non-décisions.
Vous êtes par ailleurs directrice générale de Redex. Quel est votre état d'esprit ?
Nous évoluons dans une concurrence internationale très forte. Nous faisons tout pour concevoir et fabriquer en France, mais cela se fait avec de plus en plus de difficultés. Il y a une vraie problématique de pression fiscale, qui est en France à l'opposé de ce qui se passe dans le monde. Ce ne sont pas tant les impôts comme l'impôt sur les sociétés qui influent sur la capacité des organisations à créer la richesse, mais ceux qui sont dus avant la création des bénéfices, venant grever le chiffre d'affaires sans même savoir si l'activité est profitable.
Tout cela n'existe pas ailleurs, ni en Asie ni aux Etats-Unis où je me suis rendue récemment. La pression fiscale, ici, est totalement disproportionnée. Les usines en France nous coûtent bien plus cher que nos sites implantés en Allemagne et aux Etats-Unis. Cette pression fiscale conjuguée à l'instabilité politique entache toutes nos décisions stratégiques de développement.
Comment espérez-vous préserver votre compétitivité et garder une longueur d'avance sur vos concurrents ?
90 % de notre chiffre d'affaires est réalisé à l'export, face à une concurrence internationale forte. Toutefois, nous avons cette capacité à apporter à nos clients de la valeur ajoutée avec des produits, des installations à caractéristiques techniques très poussées. Ma priorité pour le groupe pour l'année à venir est de rester sur cette tendance de l'hyper-technicité et de l'innovation constante. Nous voulons travailler à la montée en compétences de nos salariés et attirer encore plus de jeunes. Il nous faut leur proposer des salaires responsables et un environnement intellectuel stimulant.
Si je ne parviens pas à attirer des jeunes, je vais m'interroger sur la possibilité de partir en Slovaquie où je dispose de main-d'œuvre qualifiée. Si j'ai trop de charges de production, se pose la question d'aller aux Etats-Unis.
Quelles actions concrètes mettez-vous en place pour réduire votre impact climatique ?
Je souhaite rappeler quelques principes d'échelle pour poser correctement cette problématique. L'industrie représente 19 % des émissions de CO2, en France, moins que le transport (29 %) ou l'agriculture (21 %). Aussi, mon impact en tant que citoyenne est sans doute plus important qu'en tant que chef d'entreprise.
Toutefois nous œuvrons pour offrir à nos clients des produits vertueux. Nous travaillons sur l'écoconception, sur la montée en capacité technologique de nos équipements avec une consommation énergétique moindre . Nous œuvrons aussi avec l'écosystème local en faisant travailler des sous-traitants et des partenaires proches de nos usines et faisons en sorte que nos territoires continuent à vivre harmonieusement sur tous les plans.
Les problématiques environnementales ne doivent pas trouver des solutions au détriment des impacts sociétaux et sociaux de nos entreprises. Lorsque vous êtes implantés dans des villages, vous mesurez bien plus facilement votre impact sur la dynamique économique de votre région, la création d'emplois, la dynamisation des filières de formation, les retombées des actions menées dans les collèges et les lycées, les écoles ou les universités. Ce sont sur ces points que je continuerai à travailler.
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