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Soyez heureux ! La mode des « chief happiness officer » importée des Etats-Unis prend de l’ampleur en France et s’invite dans les entreprises qui cultivent les espaces de bien-être dans des locaux réaménagés en salons cosy. Cosmétique ou révolution ?

Ici un lounge aux sofas colorés jouxte une lumineuse cafétéria, ouverte sur une grande terrasse plantée de légumes et d’arbres fruitiers. Juste à côté, en enfilade circulaire, des salons cosy côtoient des espaces de silence et des salles de créativité. Dans l’une d’elles, tapissée d’une moquette vert gazon, on est prié de se déchausser avant de s’asseoir à même le sol. Non, vous n’êtes pas au cœur d’un de ces nouveaux espaces de méditation où, entre deux gorgées de thé vert, on échange sur la dernière technique de sophrologie, mais en plein Paris, boulevard Haussmann, dans le siège rénové de Danone, entreprise quasi centenaire et fleuron du CAC 40.

Même métamorphose chez L’Oréal, sur son nouveau campus Charles-Zviak de Clichy, où sont notamment regroupées les équipes de chercheurs. Idem chez Deloitte, où un millier de collaborateurs, sur les 4 500 du siège historique de Neuilly-sur-Seine, testent dans la tour flambant neuve Majunga, à la Défense, cinq configurations de travail futuristes, avant l’emménagement des équipes, à la fin du mois de juillet 2017.

Stickers roses et mauvais goût mis à part, on pourrait croire que l’animatrice télé Valérie Damidot et sa fine équipe ont lancé une nouvelle émission consistant à ripoliner un à un les gris locaux des grandes entreprises françaises. Pas un mois sans que la presse ne soit enjointe à venir s’extasier devant leurs nouveaux bureaux.

L’idée phare de cette soudaine poussée de home staging d’entreprise ? En finir avec les grands bureaux pour petits chefs, et les open spaces à perte de vue pour des salariés rivés huit heures d’affilée à leur ordinateur. « L’objectif : créer un esprit d’ouverture, de collaboration et de convivialité », explique Marc Benoit, directeur des ressources humaines de Danone.

Source de performance économique

Si les grandes entreprises semblent tout à coup se piquer de déco et de bien-être au boulot, c’est qu’elles ont compris qu’elles avaient beaucoup à y gagner. Si le mal-être a un coût, mesurable par exemple en termes d’absentéisme – 16,6 jours par an en moyenne dans notre pays, selon la dernière étude Ayming-TNS Sofres -, on découvre que le bonheur au travail est, lui, source de performance économique.

« Les salariés heureux sont deux fois moins malades, six fois moins absents, neuf fois plus loyaux, 31% plus productifs et 55% plus créatifs », indique Laurence Vanhée, fondatrice du cabinet Happy-formance, qui cite des études américaines du MIT ou de Harvard. A tel point que les fonds d’investissement centrés sur des entreprises qui privilégient le bonheur au travail « surperforment ». C’est par exemple le cas de Sycomore Happy@Work, dont la sélection d’actions européennes dépasse de 17 points l’indice Euro Stoxx 50 sur les douze derniers mois ! Le cadre de travail, justement, fait partie des principaux leviers favorisant le bien-être.

Danone, toujours très en pointe en matière d’innovation sociale, a été parmi les premiers à revoir son siège de fond en comble. L’occasion d’optimiser l’espace alors que, avec l’essor du télétravail, le taux d’occupation des bureaux était tombé à 60%. En adoptant le principe du flex desk (bureau non attribué) dans les zones dites « résidentielles » dédiées aux équipes du siège, on ne compte plus que sept bureaux pour dix personnes.

Les syndicats, vigilants sur la réduction du nombre de mètres carrés pour chaque salarié, ont donné leur blanc-seing. Car en contrepartie les espaces dits « collaboratifs », ouverts à toutes les personnes du groupe au-delà du siège ainsi qu’aux visiteurs, offrent une alternative de travail à la zone résidentielle. « Le retour des salariés de Danone est pour l’instant très positif », indique Hélène Deborde, secrétaire nationale de la FGA-CFDT.

Les jeunes attachés aux conditions matérielles de leur travail

Il faut dire que plus de 50% des collaborateurs ont été impliqués en amont dans le projet. Leur suggestion (retenue) face à l’angoisse du bureau non attitré ? L’organisation en villages de dix à quinze personnes d’une même équipe, où chacun s’installe où il veut. Même logique dans le bâtiment RIO de L’Oréal. « Nous avons pu ainsi économiser 20% de surface, réinvestir dans la haute technologie, le collaboratif ou le mobilier », se félicite Frédéric Ciuntu, qui souligne l’autre atout du flex desk : la fin du casse-tête de la chasse aux bureaux pour les nouvelles recrues, bien souvent reléguées aux places dont personne ne veut.

Un point loin d’être anecdotique. « Les locaux sont également une arme pour attirer les jeunes talents », poursuit Laurence Vanhée. Les générations Y/Z (18/35 ans) interrogées au printemps dernier par l’institut CSA pour le conseil en immobilier d’entreprise JLL l’affirment clairement: elles rêvent d’une entreprise lifestyle, sans silos, sans dress code ni distinction vie privée-vie professionnelle ; d’un espace où elles peuvent choisir entre hyperconnexion et déconnexion, entre communauté et isolement. Plus que leurs aînés, ces jeunes sont attachés aux conditions matérielles de leur travail – lieu, horaires, commodités.

Au siège de L’Oréal, réhabilité il y a quatre ans par l’architecte Jean-Michel Wilmotte, les machines à café sont désormais prohibées dans les étages afin de susciter les rencontres à la cafétéria ou dans le jardin. Les salariés jouissent aussi de toute une palette de services: conciergerie, point relais pour recevoir ses colis personnels, kiosque IT où l’on peut changer son câble d’iPhone, salle de sport, salon de coiffure ou d’esthétique, ou encore livraison de baguettes fraîches au snack. De la même façon, chez Danone, il est interdit de déjeuner au bureau ailleurs qu’à la cantine où à la cafétéria pour inciter les salariés à décrocher de leur boulot.

Le meilleur des mondes? Après le greenwashing, où beaucoup de groupes ont artificiellement verdi leur discours sans réellement changer de business, voici la mode du happywashing: réinventer l’espace n’a aucun sens si cela n’est pas accompagné d’une redéfinition des pratiques managériales. « Faire l’un sans l’autre n’apporte que des résultats très limités », prévient Isaac Getz, apôtre de l’entreprise libérée, qui vient de publier chez Flammarion un deuxième opus de La liberté, ça marche!

Ce professeur de l’ESCP Europe se souvient de la mode des open doors : les collaborateurs, à défaut de frapper à la porte, demandaient à haute voix l’autorisation d’entrer dans le bureau du chef. « La caricature, aujourd’hui, c’est la salle de repos où personne n’ose aller », ironise-t-il. Exemple avec ce directeur de l’innovation d’une grande entreprise française qui, après avoir longuement vanté tous les avantages de ses nouveaux locaux flambant neufs très feng shui, avoue n’avoir jamais mis les pieds dans le petit cocon dédié à la sieste. « Difficile de reprogrammer vingt ans de comportement », reconnaît-il.

Des « feel good managers » aux « collabor’acteurs »

Rien ne sert non plus de désigner un CHO (chief happiness officer, tellement tendance) s’il n’a pas le pouvoir d’influer sur l’organisation. « En France, la plupart des CHO sont des feel good managers chargés de mettre l’ambiance à coups de barbecues et autres festivités », regrette Laurence Vanhée. A quelques exceptions près.

Comme chez Kiabi, où l’équipe RH, rebaptisée Happy Team, se soucie non seulement du bien-être physique mais également psychique de ses 8700 « collabor’acteurs ». « Après avoir coconstruit la vision de l’entreprise, nous veillons à ce que chacun prenne des initiatives », explique Marianne Maton, membre de la Happy Team. Au siège de l’entreprise – à Hem, dans la banlieue de Roubaix -, l’ouverture des plateaux ou la reconversion d’une salle de réunion en salle de repos s’opèrent en même temps que la transformation du comité de direction en « équipe projet », avec l’idée de faire décider les équipes plutôt que de dicter la stratégie.

Etre traité en adulte, c’est au fond ce à quoi aspire la majorité des salariés. Sur le papier, difficile de ne pas se montrer enthousiaste face à de tels projets, au risque de passer pour un indécrottable cynique. Reste maintenant à savoir si cette nouvelle mode résistera à la pression des résultats et des actionnaires, qui eux ne sont pas du genre à se faire payer en sourires !

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