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Recrutés à la carte selon les projets, les travailleurs de demain enchaîneront les missions et les employeurs. Bienvenue dans l’ère du « transfert ».

Nous sommes le 15 mai 2033. Il est 10h27. Maya, qui aura 26 ans dans quelques semaines, vient de se réveiller. Maya consulte l’écran de son iPhone. 37 emails. 17 SMS. 3 demandes de « transfert ».

En 2033, les transferts, ça se passe sur Linkedin, qui est devenue la plateforme de référence, gérant quasiment l’ensemble du marché de l’emploi.

La première demande de transfert vient d’Airbus. Airbus, qui est toujours de la partie en 2033, a besoin d’elle pour animer un workshop l’après-midi même. Maya glisse son doigt sur l’écran tactile et fait suivre la demande de transfert à sa sœur jumelle, Iseline.

La seconde demande de transfert émane d’une jeune femme, Saharawi, pour un projet d’entrepreneuriat social. Le Sahara Occidental est devenu il y a quelques années un pays indépendant, et, dans ce contexte, tout est à construire, en particulier pour l’exploitation de ses ressources. Maya adore s’investir bénévolement dans ce genre de projet. Elle accepte le transfert de compétences : « Slide to accept transfer.»

La troisième demande de transfert vient de la startup iLand, qui vient de lever une coquette somme de Bitcoins, et qui a besoin de compétences en marketing stratégique. Maya a traité avec succès un sujet similaire il y a 6 mois. La mission durera 15 jours et elle sera rémunérée 25 Bitcoins. Elle accepte : « Slide to accept transfer.»

Après le « Slide to accept transfer », la plateforme numérique s’occupe de tout : le contrat de prestation est automatiquement établi. Le compte en banque de Maya est crédité automatiquement. Elle peut se concentrer sur la livraison de son savoir. L’expérience utilisateur est simple, sans complexité ni bureaucratie apparente, tant pour Maya que pour son client. On ne travaille plus, on transfère.

Convergence des tendances

Comment en sommes-nous arrivés là ? Dès le début des années 2010, certains observateurs avaient prédit la convergence de trois tendances de fond et qui, une vingtaine d’années plus tard, permettrait d’arriver aux transferts :

La première tendance, c’était les « slashers », les plus jeunes générations de l’époque (souvenez-vous : les fameuses génération Y et Z). On ne transférait pas encore, mais on « slashait ». On restait de moins en moins longtemps au sein de la même société et on se vendait simultanément à plusieurs entreprises.

La seconde tendance est venue des réseaux sociaux professionnels. Leur développement au milieu des années 2010 montrait déjà la clairement la direction : développer une intelligence artificielle capable de faire correspondre les besoins des entreprises et des talents.

La troisième tendance concernait les entreprises : nous étions dès les années 2010 dans la phase de « grande synthèse créative » de la « troisième révolution industrielle ». Tout s’était considérablement accéléré. Les chaines de valeur ont été complètement bouleversées. La moitié des plus grandes entreprises du milieu des années 2010 ont disparu en 2033. Celles qui ont survécu sont celles qui se sont adaptées, qui ont inventé de nouvelles formes d’organisation et de gouvernance. Les survivantes sont dynamiques, ouvertes et orientées projet. Des projets qui fédèrent des talents internes et des talents externes, recrutés à la demande le temps du projet. Tout se passe comme si l’organisation était composée d’un ensemble protéiforme et symbiotique de start-up.

Révolution du monde du travail

Avec les transferts, toutes les tâches administratives (recherche d’emploi, lettre de recommandation, contractualisation, paiement, cotisations en tout genre…) qui étaient, jusqu’à la fin des années 2010, gérées de manière sous-optimale, ont été complètement reconfigurées par le numérique et sont devenues quasi-invisibles pour les entreprises comme pour les individus.

Le monde du travail en entreprise a complètement changé. Le droit du travail aussi. Les systèmes de recommandations réciproques en ligne ont remplacé les réglementations légales. Tu es motivé, tu produis, alors tu grimpes dans le « ranking ». Si, au contraire, tu es inefficace, tu dégringoles et tu sors du système.

En 2033, nos trois tendances ont convergé et on a inventé des entreprises infiniment plus agiles et plus robustes. Ces entreprises sont composées en grandes parties de slashers, recrutés à la demande à travers des plateformes numériques. Ces slashers sont heureux car ils se sont complètement réapproprié leur temps et leur vie – comparés à leurs parents, notamment.

Mais naturellement, comme dans toute révolution, certains sont restés sur le carreau – la majorité, en fait. Car les inégalités ont continué à se creuser. De plus en plus fort et de plus en plus vite.

En 2016, lorsque Maya et Iseline n’avaient que 8 ans et demi, leur papa savait que le travail serait très différent. Mais, ce qu’il ne savait pas, c’est si ses filles feraient partie des 10% pour qui la révolution serait effectivement positive. Il se demandait si elles feraient partie de la petite minorité pour qui le monde du travail serait un gigantesque champ des possibles ou si, au contraire, elles seraient de simples commodités interchangeables pour qui la compétition serait féroce.

 

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