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Lorsque l’on opère à l’international et que l’on communique avec des personnes de cultures différentes, il est important de saisir toute la subtilité des messages informels. Comme l’explique Erin Meyer, véritable experte sur ces questions, cela est toutefois plus délicat que ce que nous supposons.

Erin Meyer est probablement l’une des spécialistes les plus expérimentées au monde lorsqu’il s’agit de traiter des questions relatives aux affaires et à la communication par-delà des frontières culturelles. Auteure de « The culture map : Breaking through the invisible boundaries of global business », elle enseigne également à l’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD) de Fontainebleau.

Erin Meyer :

Dans le monde des affaires, la triste vérité à laquelle nous sommes confrontés, c’est que les responsables opérant à l’échelle internationale ne sont, dans leur grande majorité, que très peu réceptifs à la façon dont la culture impacte leur travail. Ils partent du principe que leurs actions et leurs communications seront perçues de la même façon que s’ils s’adressaient à quelqu’un issu de la même culture que la leur ou du même contexte que le leur. Or c’est précisément cette hypothèse de départ qui conduit à des malentendus dramatiques, à des projets auxquels aucune suite n’est finalement donnée et à des affaires perdues.

Dans la culture occidentale, par exemple, si lors d’une conversation téléphonique, quelqu’un se tait pendant quelques secondes, les personnes s’imagineront alors que cet interlocuteur n’a pas bien compris le sens de ce qui se disait ou qu’il se sent mal à l’aise avec cela. Or, notamment dans les cultures asiatiques, le silence suggère quelque chose de positif. De sorte que le silence de l’interlocuteur est en fait plutôt susceptible de signifier quelque chose du genre : « J’admire votre question, et celle-ci mérite de s’y attarder un peu avant d’y apporter une réponse ». On voit donc que, dans un contexte international, il est plus facile que jamais de tomber dans le piège des idées fausses, si vous n’écoutez pas votre interlocuteur avec toute l’attention requise.

En japonais, il existe une expression pour décrire toute personne n’étant pas en mesure de lire, de saisir les ambiances particulières dans lesquelles elle se trouve : Kuuki Yomenai, abrégée en KY. Pour être un bon communicant, il faut justement être en mesure de saisir tous les messages subtils se trouvant en suspension dans l’air. Et il va de soi, bien sûr, qu’il est bien plus facile, dans une culture qui n’est pas la sienne, de se retrouver rapidement dans la situation d’un KY.

« Pour faire des affaires, la condition sine qua non réside avant tout dans la confiance. »

D’un endroit à l’autre du monde, la manière de bâtir une relation de confiance peut se révéler complètement différente. Dans les pays occidentaux, notamment, on a tendance à s’en remettre au concept de la confiance cognitive, de sorte que l’on accordera facilement sa confiance à une personne qui est à l’heure, qui est fiable et qui semble réaliser un bon travail. Au Moyen-Orient, en Chine, en Amérique latine et dans la plupart des pays africains, l’accent est mis d’avantage sur ce que l’on appelle la confiance affective ou personnelle. Là-bas, les personnes ont tendance à faire confiance à ceux avec lesquels ils sentent qu’ils partagent un lien personnel ou des affinités émotionnelles.

Il en résulte une conséquence assez simple. Dans les pays où la confiance est d’ordre cognitif, les e-mails peuvent constituer des outils particulièrement pratiques pour faire des affaires. Par contre, dans les pays où la confiance se fonde sur l’affect, il est nécessaire, tout au moins au début, de trouver l’occasion d’établir un véritable lien personnel et émotionnel. Sinon, vos e-mails ne vous conduiront à rien d’autre qu’à l’échec.

J’ai récemment fait l’expérience d’un exemple flagrant des conséquences dramatiques que peut avoir une mauvaise communication. Ainsi, comme vous le savez, dans des pays comme l’Allemagne ou les États-Unis, il est tout à fait naturel, après un entretien téléphonique, de récapituler ce qui a été dit et ce qui a été convenu dans un e-mail. Pour nous, cela montre que vous êtes professionnel et que vous êtes impliqué. Et c’est donc exactement ce qu’a fait un de mes clients américains qui planchait sur une transaction de plusieurs millions de dollars avec un partenaire potentiel en Arabie saoudite. Résultat : la transaction a implosé. Son partenaire saoudien avait, en effet, eu l’impression qu’il était considéré comme n’étant pas digne de confiance, il s’était senti insulté et avait, par conséquent, mis un terme aux négociations.

Il ne faut jamais oublier que nous sommes des êtres humains. Ainsi, si quelqu’un se sent insulté, il réagit. Pour une personne comme Erin Meyer, qui est née dans le Minnesota aux États-Unis, qui s’est mariée à un Français et qui vit en France, les malentendus culturels sont un phénomène courant.

Il y a une phrase célèbre de Paul Watzlawick qui dit : « On ne peut pas ne pas communiquer ».

Ce qui, en clair, signifie que toute forme de comportement est également une forme de communication. Nous émettons tous des messages non intentionnels que les autres saisissent et interprètent à leur manière. Même lorsque vous vous tenez sagement assis et que vous ne dites rien, le message que vous communiquez est particulièrement puissant.

Est-ce que le fait de partager la même langue, voire la même culture, permet d’éviter les malentendus ? Ici, il est intéressant de noter que la réponse est négative. En effet, le fait de partager une langue commune crée l’illusion de savoir ce que l’autre est en train de dire, et l’illusion de connaître ses intentions, alors que c’est exactement le contraire qui est vrai.

Les recherches montrent ainsi que les taux d’échec les plus élevés en matière d’expatriation dans le monde ne concernent pas les Américains s’installant en Chine ou les Français s’installant en Corée, mais les Américains des États-Unis s’installant au Royaume-Uni. On constate également d’importants taux d’échec parmi les Allemands s’installant en Autriche et les Espagnols s’installant au Mexique. Le fait de parler la même langue conduit en effet à la croyance selon laquelle vous feriez partie de la même tribu et selon laquelle il ne vous serait par conséquent pas nécessaire d’écouter attentivement vos interlocuteurs. C’est tout au moins ce que vous pouvez croire au début. Mais il ne vous faudra pas beaucoup de temps pour vous apercevoir que ce n’est pas le cas.

Il y a un certain nombre de questions essentielles auxquelles toute société, qui veut se développer au-delà de ses frontières, se doit de répondre lorsqu’elle croît à l’international :

  • Jusqu’à quel point la culture de l’entreprise est-elle en phase avec la culture locale de ses nouveaux marchés ?
  • Jusqu’à quel degré de souplesse l’entreprise entend-elle s’adapter à ces environnements locaux ?
  • Faut-il que nous conservions une très forte culture d’entreprise afin de travailler de la manière la plus efficace entre chacune de nos entités, ou faut-il que nous intégrions des cultures locales ?

Si l’objectif de votre entreprise est d’écouter ses clients de manière extrêmement attentive, il peut alors être plus judicieux de mettre en œuvre une culture d’entreprise qui soit souple et évolutive. Mais si vous faites état d’un esprit extrêmement novateur, et si vous voulez conserver l’esprit novateur qui a créé vos produits, il est alors probable qu’une forte culture d’entreprise sera ce qui convient le mieux.

Ainsi, les entreprises comme Google ont une très forte culture d’entreprise et elles n’embauchent que des personnes présentant une personnalité proche de la leur : elles les appellent les Googlers. Alors que cela peut présenter des avantages internes indéniables pour l’entreprise, cela est également susceptible de poser un certain nombre de défis supplémentaires, dans la mesure où cette entreprise risque d’éprouver certains problèmes lorsqu’il s’agira d’être à l’écoute de clients locaux.

Dans tout cela, la bonne nouvelle, c’est que : l’art de l’écoute est quelque chose que tout le monde peut véritablement apprendre. La première et la plus importante des choses c’est que, indépendamment de l’endroit d’où vous venez et où vous vous trouvez, il ne faut jamais engager la communication en pensant que vous connaissez déjà la réponse. Et, de fait, nous pensons souvent que nous connaissons ce que la personne va dire, de sorte que nous ne l’écoutons pas de manière extrêmement attentive.

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