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L’évaluation apparaît encore aujourd’hui comme le parent pauvre de la famille « formation ». Certes, la satisfaction immédiate des apprenants n’a sans doute jamais été si bien connue et mesurée. Mais le véritable résultat de la formation, c’est-à-dire l’amélioration concrète de la pratique professionnelle des collaborateurs, n’est pas systématiquement évalué. Pourquoi ? Et quelles sont les pistes de progrès ? 

La réforme, une chance pour l’évaluation ?

L’importance de l’évaluation fait partie des « serpents de mer » de la littérature sur la formation. Les discours qui la soulignent de loin en loin ne paraissent pas systématiquement suivis d’effet. En quoi la dernière réforme de la formation professionnelle aborde-t-elle cet enjeu ?

En principe, même si elle n’est pas mentionnée en tant que telle, l’évaluation de la formation devrait être la grande gagnante de la loi de 2014. C’est en tout cas l’avis de 59% des Responsables Formations interrogés par Féfaur pour Dokeos en 2015. En faisant passer l’entreprise de l’obligation de moyens à l’obligation de résultat en matière de formation professionnelle, la réforme contribue à changer le positionnement du Responsable Formations. Même si ceux-ci n’ont pas attendu la loi pour envisager la formation comme un investissement, la loi les plaçait de fait dans une logique de mise en conformité avec une contrainte légale. Il devra désormais davantage défendre la dépense de formation uniquement pour elle-même, et en démontrer l’utilité pour l’entreprise.

Ce constat optimiste est cependant à nuancer :

  • D’abord, si la philosophie affichée par la réforme est bien celle que nous venons d’esquisser, sa traduction en actes est loin d’être totale. La loi ne délivre pas vraiment le Responsable RH de ses obligations administratives : le système reste d’une grande complexité, de nouveaux dispositifs sont apparus, comme le CPF, et il existe encore une obligation fiscale.
  • La réforme institue par ailleurs un contrôle qualité des organismes (pour les formations prises en charge par les OPCA). Mais comme le souligne Jonathan Pottiez, garantir la qualité a priori des formations ne revient pas à s’assurer de leur efficacité concrète dans le contexte de l’entreprise : il s’agit d’une tout autre démarche.

Surtout, réforme ou pas réforme, les impératifs de marché et de performance eux-mêmes imposent plus que jamais la nécessité d’évaluer les actions de formation. L’évolution des technologies, également, offre des possibilités nouvelles à l’évaluation ; c’est en tout cas l’avis de 79% des Responsables Formations interrogés par Féfaur dans l’étude mentionnée plus haut.

Évaluation : où en est-on ?

Pour évaluer les effets de la formation, les entreprises disposent depuis longtemps déjà du modèle de Kirkpatrick, popularisé en 1959 et mis à jour en 2010 pour tenir compte du nouveau contexte économique et technologique. Ce schéma comporte 4 niveaux, bien connus des Responsables Formations.

Niveaux du modèle de Kirkpatrick

Source : http://www.oce.uqam.ca/termessujets/evaluation-impacts-formation/

L’étude Fefaur/Dokeos de 2015 que nous avons déjà citée nous apprend que la plupart des entreprises réalisent déjà le niveau 1 (réactions à chaud), qui consiste le plus souvent en un simple questionnaire de satisfaction rempli par les apprenants à l’issue de la formation. Le niveau 2, qui correspond également à une évaluation « à chaud », mais portant sur le contrôle des connaissances acquises, apparaît déjà moins pratiqué : en 43 et 65% suivant les types de formation.

Avec le niveau 3, c’est-à-dire la mise en pratique des apprentissages, on tombe à une fourchette de 24 à 43%. Très peu (entre 9 et 27%) vont jusqu’au niveau 4, correspondant à l’impact de la formation sur la performance de l’organisation, ou retour sur investissement – qui semble pourtant l’objectif à atteindre pour une politique formation vraiment efficace.

Ces résultats sont d’autant plus étonnants que, selon la même étude, les deux premiers enjeux, pour les Responsables Formations, de l’évaluation de la formation, sont l’amélioration continue de « la qualité des offres et du dispositif formation » et l’estimation de l’adéquation des formations avec les besoins en compétences métiers.

Les chiffres du baromètre Cegos 2016 de la Formation professionnelle en Europe confirment ces ordres de grandeur, et nous apprennent en outre que la France est à la traîne sur cette question. 72% des salariés européens interrogés affirment que leur acquis de formation sont évalués assez souvent ou systématiquement ; les Français ne sont que 63% à le dire. Selon les données du baromètre 2015, la part de ces derniers qui ont été évalués « à chaque fois » suite à une formation apparaît même en recul par rapport à 2011.

À chaque formation son évaluation

Pourquoi cette désaffection pour des enjeux qui paraissent pourtant essentiels, tant du point de vue du Responsable Formations que de celui de l’entreprise dans son ensemble ?

Niveaux d'évaluation par type de formation

Source : étude Dokeos/Fefaur 2015

Une première raison qui n’est pas à négliger est que dans certains cas, l’évaluation à froid n’a pas vraiment lieu d’être, eu égard au type de formation. Soit que le jeu n’en vaille pas la chandelle, par exemple s’il s’agit de formations courtes, dont le coût d’évaluation excéderait le bénéfice attendu ; soit que l’évaluation à chaud suffise pour le type de compétences visées.

On remarque d’ailleurs que tous les types de formation ne sont pas égaux devant les pratiques d’évaluation. Les formations managériales, commerciales et spécifiques métiers sont les plus nombreuses à faire l’objet d’une évaluation de niveau 3 (entre 35 et 43%), et même de niveau 4 (entre 19 et 27%). Sans doute en raison de leur importance stratégique, mais aussi de leur prix : ces formations sont souvent coûteuses, et les entreprises envisagent plus volontiers de fournir pour elles l’effort de l’évaluation à froid.

Toutes les formations ne se prêtent donc pas uniformément au même type d’évaluation. Pour autant, on peut penser qu’avec un peu d’anticipation, de méthodologie, et d’utilisation judicieuse du digital, il y a moyen de réduire significativement le coût de l’évaluation à froid. Et d’en intégrer la logique à davantage de prestations.

Cela suppose de repenser, dans une large mesure, notre façon de mettre en œuvre nos politiques de formation. À cet égard, l’évaluation à froid des comportements en situation de travail apparaît comme un point de départ particulièrement pertinent. À la fois pour améliorer l’efficacité des formations elles-mêmes, et pour en tirer tout le profit en matière de transformation managériale. 

Que l’on se place du point de vue de l’entreprise ou de celui du salarié, le premier enjeu d’une formation reste son efficacité. C’est-à-dire sa contribution à changer les façons de faire du collaborateur, au bénéfice simultané de la performance collective de l’organisation et de l’« employabilité » du salarié. Mais ce type d’évaluation demande davantage que la greffe d’un processus supplémentaire sur des prestations existantes : il suppose de repenser l’ensemble de l’ingénierie de formation. Et ce n’est pas la moindre de ses vertus.

A mesure que l’on parcourt les 4 étapes du modèle de Kirkpatrick – satisfaction de l’apprenant, connaissances acquises à l’issue de la formation, évaluation des acquis en situation de travail, effets sur la performance – les rangs des entreprises qui les franchissent se font plus clairsemés.

L’évaluation à froid de l’apprenant : le maillon clé

Quand peut-on dire qu’une formation a atteint son but ?  C’est à l’usage et sur la durée que l’on discernera si la compétence ou le savoir visés ont été effectivement transmis. La mesure de cette transmission est tout l’enjeu de l’évaluation à froid. Il en découle que celle-ci, à la différence des 2 premiers niveaux d’évaluation, exige l’anticipation : elle ne peut être menée à bien que si l’on insère l’action de formation dans un processus qui commence en amont et s’achève bien en aval. Elle suppose également d’entrer dans le fonctionnement du service et dans les bénéfices concrets que l’on attend de la formation en matière de comportements à acquérir ou à modifier par le bénéficiaire. Le niveau 3 de Kirkpatrick joue donc le rôle d’un levier important de transformation organisationnelle.

Or, à ce stade, il semble que la majorité des entreprises n’anticipent pas vraiment : 73% ne réalisent jamais, ou seulement rarement, une évaluation préalable des compétences, ce qui réduit considérablement la pertinence de l’évaluation a posteriori. Il paraîtrait pourtant logique de chercher à savoir de quel niveau l’on part avant de déployer une formation. Dans la perspective d’une vraie évaluation des bénéfices, il faudrait même s’efforcer de définir les critères d’évaluation en même temps que l’on choisit la formation.

La valeur ajoutée du responsable formations

Comment concrétiser cette transformation managériale ? Deux personnes jouent un rôle clé dans la réponse : le manager, lorsqu’il est le commanditaire de la formation ; et le Responsable Formations.

La définition précise de l’objectif de formation, puis la conduite de l’évaluation à froid, supposent l’implication du manager. A cet égard, l’étude Féfaur déjà mentionnée donne des chiffres plutôt inquiétants : seuls 23% des Responsables Formations ont ainsi pour habitude de négocier en amont les indicateurs de réussite avec les opérationnels. Et 62% de ces mêmes Responsables Formations montrent du doigt, comme principal frein à une bonne évaluation, l’insuffisante implication des acteurs, en particulier celle des managers opérationnels.

Pourquoi des managers si effacés ? Peut-être, tout simplement, parce que l’exercice est bien souvent très difficile. Sur quels critères évalue-t-on qu’un collaborateur a progressé dans son mode de relation client, dans ses capacités managériales, dans sa gestion du temps, ou même dans son utilisation d’un outil complexe ?

C’est là que l’expertise du Responsable Formations peut intervenir : en aidant le manager à formaliser son évaluation, à formuler ses attentes et à trouver des moyens et des critères pour mesurer les progrès réalisés. Le Responsable Formations doit être force de proposition dans ce domaine, quitte à se former lui-même aux techniques d’évaluation !

Un processus managérial complet

Plus généralement, mettre en place une démarche d’évaluation des acquis en situation de travail peut déclencher une série de processus vertueux dans l’organisation. L’évaluation à froid de la formation amène en effet à se poser toute une série de questions sur le rôle de chacune des composantes de l’entreprise, et sur la place du Responsable Formations en général :

  • Elle oblige à faire du collaborateur un acteur à part entière de l’évaluation, en lui offrant l’opportunité de formuler des propositions, des demandes, des remarques sur la formation elle-même comme sur l’organisation dans laquelle il est amené à mettre en pratique ce qu’il a appris.
  • Elle est l’occasion d’associer pleinement les managers et les opérationnels à l’action de formation.
  • Dans ce processus, le Responsable Formations a un rôle clé, dans lequel il peut faire valoir toute son expertise. Il doit être à même de poser les bonnes questions aux managers comme aux collaborateurs, pour les amener à préciser le besoin dans sa dimension la plus concrète et la plus mesurable. Ce n’est pas toujours facile, loin de là !

En définitive, au moment où l’on développe la certification, pour d’autres raisons également valables, il est important de sortir l’évaluation en situation de travail d’une logique d’examen. En effet, c’est l’ensemble du processus de formation qui est évalué, pas simplement le collaborateur. C’est en cela, également, que l’évaluation est avant tout un acte de management. Et un champ d’action capital pour le Responsable Formations de demain.

 

Source : Rhexis - 06/16

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