Les grands groupes industriels – PSA, Airbus, Dassault Aviation, Renault, DCNS… – utilisent la réalité virtuelle depuis déjà dix à vingt ans pour la conception de leurs produits. Certains ont également adopté la réalité augmentée dans leurs usines depuis cinq à dix ans, afin d’optimiser leurs rendements et réduire les erreurs sur les chaînes d’assemblage, généralement grâce à des tablettes. On pourrait alors se dire que ces technologies n’ont rien de nouveau et que rien ne change. Ce serait une grosse erreur.
L’ADOPTION DES CASQUES A DÉJÀ DÉBUTÉ
On l’a vu en 2016, l’innovation technologique venue des smartphones a permis la renaissance des casques de réalité virtuelle et leur arrivée sur le marché grand public. Comme les smartphones, ces appareils grand public vont bénéficier au monde professionnel. L’atout est d’abord financier : les salles de réalité virtuelle utilisées par les grands groupes représentent un investissement de plusieurs millions d’euros, alors qu’un casque ne coûte qu’un millier d’euros.
De quoi démocratiser l’utilisation de la réalité virtuelle en entreprise dans les années qui viennent. Celle-ci ne sera plus limitée à quelques centres de recherche ni soumise à un planning strict. Chaque ingénieur pourra s’en servir à son bureau quand il en aura besoin, pour voir l’intérieur d’un moteur à l’échelle d’une fourmi ou se mettre dans la peau de l’utilisateur final. Surtout, elle ne sera plus l’apanage des très grandes entreprises.
Les PME, les ETI, les bureaux d’études et même les start-up y auront également droit. C’est d’ailleurs déjà le cas. Les éditeurs de logiciels et les sous-traitants s’adaptent, tandis que les industriels, comme PSA, testent les premiers pilotes. L’adoption des casques en entreprise sera aussi accélérée par l’arrivée sur le marché d’acteurs traditionnels de l’informatique de bureau comme HP, Dell et Lenovo, poussés par Microsoft. Cette démocratisation ouvrira la technologie à d’autres usages que la conception assistée par ordinateur (CAO) et à d’autres domaines : l’éducation, la formation, l’immobilier, le marketing…
VERS UN OUVRIER AUGMENTÉ
Les choses bougent aussi du côté de la réalité augmentée. Elle est déjà utilisée dans l’industrie par des acteurs comme Airbus, pour l’assemblage et l’assurance qualité de ses avions, ou le chantier naval Newport News Shipbuilding, qui construit les porte-avions nucléaires de l’armée américaine. Mais la finalité de cette technologie n’est pas un smartphone ou une tablette. C’est une paire de lunettes qui permet à l’ouvrier d’avoir les mains libres. Et c’est là que le marché professionnel est en avance. Ils s’appellent Epson, Vuzix ou ODG et sont déjà dans les usines de Volkswagen ou les entrepôts de DHL.
Ils font aujourd’hui face au mastodonte HoloLens, porté par Microsoft et issu de sa technologie Kinect. Un casque que testent discrètement nombre d’industriels, dont Airbus. Commandes vocales, commandes gestuelles, compatibilité avec les applications Windows classiques comme la suite Office, et ce sans avoir besoin d’aucun équipement extérieur… Dans le milieu de la construction, l’entreprise américaine Daqri innove à tour de bras. Son Smart Helmet, un casque de chantier connecté, s’appuie sur le développement de la modélisation des données du bâtiment (BIM) pour représenter les différentes couches d’une structure en amont de sa réalisation. Vous pensiez que la visualisation d’un plan sur une tablette était révolutionnaire ? Attendez de le voir en 3D ! L’entreprise a d’ores et déjà conduit des pilotes avec Siemens, Vinci, Parker Hannifin et Mortenson. Ces fonctionnalités préfigurent l’ouvrier 4.0. Elles transformeront certains métiers aussi sûrement que la navigation GPS a transformé la conduite automobile.
DU NOKIA 3310 À L’IPHONE 7
Si ces innovations sont significatives, les technologies de réalité virtuelle et augmentée n’en sont qu’à leurs débuts et vont largement se développer au cours des dix prochaines années. La progression sera dans une certaine mesure comparable à celle des smartphones, du Nokia 3310 apparu à la fin de l’année 2000 à l’iPhone 7 sorti fin 2016. Ce sont d’abord les résolutions d’écran et les champs visuels (aujourd’hui limités à 100° pour la réalité virtuelle et 45° pour la réalité augmentée) qui vont augmenter afin de fournir une fidélité toujours plus proche de la réalité.
Ils s’adapteront dynamiquement en fonction de ce que l’œil regarde, réduisant ainsi la puissance de calcul nécessaire et diminuant la fatigue visuelle. Les casques seront moins chers, plus petits, plus légers, sans fil. Ils ne nécessiteront plus de capteurs externes (à poser sur son bureau ou à visser aux murs), comme c’est encore le cas aujourd’hui. Avec la hausse de la puissance de calcul et de l’efficience énergétique des processeurs, des versions mobiles posséderont de plus en plus de fonctionnalités.
Trois grandes tendances constatées au CES 2017
Le sans-fil
Pour être libre de ses mouvements
L’une des grandes tendances du CES 2017 est le passage des casques de réalité virtuelle au sans-fil. Outre les modèles tout-en-un, qui embarquent leur propre puissance de calcul, il existe plusieurs solutions sans fil pour ordinateurs. Cinq d’entre elles ont été présentées lors du salon de Las Vegas. Certaines utilisent une bande de fréquence Wi-Fi de 5 GHz, d’autres une bande de 60 GHz. Certaines compressent le flux vidéo à l’aide d’une puce, d’autres utilisent un algorithme. Autant de choix qui se répercuteront sur les performances des produits et leur éventuel succès. L’engouement autour des technologies de réalité virtuelle marque néanmoins un tournant. Celles-ci sont d’ailleurs appelées à évoluer rapidement au cours des cinq prochaines années.
Le Vive Tracker
Pour virtualiser n’importe quel objet
HTC a créé l’événement lors du CES en dévoilant Vive Tracker, un périphérique qui permet à n’importe quel objet d’être intégré dans un environnement virtuel et suivi en temps réel par les balises de son casque HTC Vive. Avec cette innovation, HTC démontre sa volonté de se positionner sur d’autres marchés que celui du divertissement grand public à domicile. Sa cible : l’univers professionnel. Le Vive Tracker pourra servir à créer des simulations très réalistes à moindre coût et intégrer des outils bien réels dans un espace de travail virtuel. Il pourra être utilisé, par exemple, pour la formation des pompiers (avec une lance à incendie simulant la pression de l’eau par retour de force) ou pour l’entraînement des joueurs de la ligue de base-ball des États-Unis (à l’aide d’une batte connectée).
Les capteurs intégrés
Pour simplifier la prise en main
Les casques de réalité virtuelle sont équipés de capteurs externes qui détectent les mouvements du corps et la position de la tête afin d’adapter l’affichage en temps réel. Ces capteurs doivent être soigneusement installés dans un espace dédié et servent de repères pour suivre avec précision les déplacements des utilisateurs dans l’espace. Les entreprises cherchent aujourd’hui à les intégrer directement dans le casque. Intel, Qualcomm, Microsoft et ses différents partenaires (HP, Dell, Lenovo, Asus et 3Glasses) ont profité du CES pour présenter leurs dernières innovations dans ce domaine.
CONVERGENCE VERS LA RÉALITÉ MIXTE
La réalité virtuelle et la réalité augmentée sont pour le moment très distinctes, mais elles vont suivre une évolution parallèle tendant vers un même objectif : la réalité mixte. Ce concept, parfois appelé « réalité virtuelle augmentée », définit la fusion parfaite des mondes réels et virtuels. Pour la réalité virtuelle, il consiste à capturer le monde réel et le virtualiser en temps réel de façon hyperréaliste, pour ensuite le modifier à loisir. Pour la réalité augmentée, il revient à afficher des éléments virtuels plus vrais que nature et à les faire interagir naturellement avec de vrais éléments dans la pièce (de la réverbération du son à l’éclairage et aux collisions).
La réalité mixte ouvre la voie à des perspectives inédites. Grâce à elle, deux ingénieurs équipés de casques pourront travailler sur le même objet 3D dans une pièce, tout en interagissant avec d’autres collègues ne portant aucun appareil. Mieux, ils pourront collaborer sur ce projet en temps réel avec cinq autres participants connectés à distance depuis l’étranger, qu’ils verront comme s’ils étaient là. Le travail collaboratif en visioconférence prendra une tout autre dimension. Cet espace de travail virtuel pourra également contenir un nombre illimité d’écrans de toutes tailles, de tableaux blancs, de représentations 3D… Toutes les possibilités seront envisageables.
Science-fiction ? C’est pourtant la vision à cinq ans de Facebook, via sa filiale Oculus. Et c’est aussi l’objectif de Microsoft avec HoloLens. Le Project Alloy d’Intel, dont la nouvelle mouture était présentée au CES 2017 de Las Vegas, permet dès aujourd’hui de capturer l’image d’une pièce et de ses meubles, puis de les modifier en temps réel, et ce avec deux participants interagissant dans le même environnement. Les premiers produits commerciaux dotés de ces capacités seront mis sur le marché d’ici à la fin de l’année, d’après l’entreprise.
VERS UNE INFORMATIQUE PLUS NATURELLE
La réalité mixte, ce n’est pas que l’image et le son. Les méthodes d’interaction avec l’environnement virtuel n’en sont aussi qu’à leurs débuts. Les contrôleurs vont évoluer dans les cinq ans vers une ergonomie toujours plus naturelle et permettront un retour haptique (utilisant le sens du toucher) toujours plus poussé. AxonVR, une start-up de Seattle (États-Unis), a d’ores et déjà créé un prototype qui permet de ressentir la forme des objets et de reproduire des changements de température. L’utilisateur voit par exemple l’image d’un cerf miniature en réalité virtuelle et a l’illusion de le tenir dans la paume de sa main. Il peut sentir ses petits sabots lorsqu’il saute sur place, les poils de sa fourrure lorsqu’il se couche… et même la chaleur de son corps qui se diffuse sur la peau. Bluffant.
Parallèlement, les éléments virtuels pourront être contrôlés directement à mains nues, sans équipement spécifique, et la reconnaissance vocale viendra en renfort compléter naturellement l’équation. Le casque HoloLens de Microsoft gère déjà la commande vocale via Cortana, ainsi que les clics en l’air et autres commandes gestuelles, mais elles restent rudimentaires. Les progrès en matière de deep learning vont décupler leurs possibilités. Les casques sauront également détecter la zone spécifique que regarde l’utilisateur pour mieux interpréter sa demande. S’il souhaite agrandir un objet par exemple, pas besoin de spécifier lesquel, le système saura ce sur quoi il se concentre. Le casque de la start-up japonaise Fove dispose de ces capacités.
Toutes les technologies nécessaires à la fusion des réalités existent déjà. Il ne reste plus qu’à les industrialiser. Un défi que tous les acteurs de l’informatique (fixe ou mobile) ont à l’esprit et qu’ils cherchent à relever. La question n’est donc pas de savoir si cette vision se réalisera un jour, mais tout simplement quand. D’ici vingt à trente ans, on pourrait ainsi imaginer un monde sans écrans et sans commandes de contrôle sur les machines. Les informations pertinentes s’afficheront directement sur nos appareils en fonction de nos besoins, puisque chacun portera sur soi l’interface utilisateur ultime, celle qui se sera enfin adaptée à l’homme et non l’inverse.
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