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Dans le monde du travail, la puissance physique a d’abord primé, puis la puissance intellectuelle. Dans l’économie de demain, la capacité à coopérer sera centrale. Une faculté plus développée chez les femmes…

A chaque époque son critère de recrutement. La force physique a longtemps été la priorité – pour chasser le bison, fracasser le crâne des ennemis, aller à la mine, serrer les boulons de Charlie Chaplin dans « Les Temps modernes ». Au XXe siècle, les compétences intellectuelles sont passées au premier plan, avec la montée des services puis des technologies de l’information. Robert Reich, un économiste qui fut ministre du Travail du président américain Bill Clinton, parlait du triomphe des « manipulateurs de symboles ». Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En ce début de XXIe siècle, l’entreprise et le travail changent en profondeur. L’automatisation gagne encore du terrain dans les tâches manuelles et se faufile dans les tâches intellectuelles. Les hiérarchies sont écrasées. L’économie devient « collaborative ».

Un consultant américain, Dov Seidman, résume parfaitement la révolution  :

« Nous sommes passés d’une économie industrielle – où on embauchait des bras – à une économie de la connaissance – où on embauchait des têtes – et maintenant une économie humaine – où on embauche des cœurs. »

Embaucher des cœurs ! Certains trouveront l’idée naïve, d’autres la rejetteront en affirmant que nous allons au contraire vers un monde de plus en plus dur où le cœur n’a aucune place. Il faut donc l’étayer avant d’explorer les effets de ce basculement sur l’entreprise et la société, qui seront majeurs.

Partons donc des propos de Seidman. Pour ce juriste de formation qui a aussi fait des études de philosophie et d’économie, auteur d’un best-seller de management préfacé par Bill Clinton, « il n’y a pas de guerre à venir entre l’homme et la machine. Les machines ont déjà gagné. Au lieu de rivaliser avec elles ou de vouloir maintenir une suprématie dans des domaines tels que l’analyse quantitative, nous devons les compléter. Seuls les humains ont des qualités comme la capacité à collaborer et à communiquer, ou à faire preuve de courage ». Dans l’entreprise d’hier, beaucoup de salariés restaient dans leur coin, à faire un travail souvent répétitif. Au-delà de la machine à café, ils étaient peu en relation avec leurs collègues, et encore moins avec les clients. Mais le travail répétitif devient largement mécanisé ou numérisé. Les salariés, eux, travaillent de plus en plus en équipe, en collectif, en mode projet. Si l’expertise technique reste précieuse, elle n’est utile qu’à celui qui est apte à collaborer avec les autres. Les autistes ne trouvent plus leur place, fussent-ils X ou HEC. Place à l’écoute et à l’attention, à l’empathie, à l’envie et à la volonté d’aller vers l’autre, de coopérer avec lui.

La même exigence se retrouve, et se retrouvera plus encore demain, pour les relations de l’entreprise avec ses parties prenantes – ses clients, ses fournisseurs, ses partenaires. Dans un monde où les frontières des entreprises ne cessent de se déplacer, leur interpénétration se généralise. Cette interface de plus en plus large se concrétise par des relations individuelles et donc la capacité des salariés à les établir et à les fortifier. Quand la production devient de plus en plus souvent une coproduction avec le client, il devient vital de bien s’entendre avec lui. L’économie collaborative va pousser à aller encore plus loin. Chez BlaBlaCar, pionnier du covoiturage, les transportés notent leur transporteur, mais la notation se fait aussi dans l’autre sens. Ce qui en jeu ici n’est pas tant l’aptitude à la conduite ou à l’intellect que la qualité de la relation qui s’établit entre les uns et les autres. Signe des temps : une jeune activiste britannique, Belinda Parmar, calcule un «  indice d’empathie  » pour 160 grands groupes mondiaux.

La montée des cœurs dans la production va chambouler l’entreprise et la société. On en donnera deux exemples. D’abord, l’embauche. La puissance des bras est visible à l’œil nu. La puissance du cerveau est labellisée par des parchemins scolaires. La puissance du cœur, la capacité à travailler ensemble, à établir la confiance au-delà d’une simple transaction sont plus difficiles à détecter, à justifier aussi. Certains DRH partent à la recherche d’indices dans les CV ailleurs qu’à la rubrique « formation ». Deux chercheurs, Matthias Heinz et Heiner Schumacher, ont montré que les étudiants ayant une forte implication associative, dans l’humanitaire par exemple, sont ceux qui montrent la meilleure aptitude à coopérer (dans un test classique en économie expérimentale, un « public good games »). Ils montrent aussi que les recruteurs savent interpréter ce genre de signal dans les CV.

Cette montée de nouvelles compétences va aussi bousculer la société. Les révolutions industrielles du XVIIe et du XIXe siècle ont chamboulé la production physique. Elles ont accru la puissance des bras, et, à terme, la rémunération de ceux qui s’en servaient pour produire. Les inégalités ont diminué. D’immenses classes moyennes sont apparues. Au contraire, les technologies de l’information accroissent la puissance des cerveaux, et donc les revenus de ceux qui s’en servent. Elles accroissent donc les inégalités et écrasent les classes moyennes. Mais la répartition de ceux qui ont un cœur, ou plutôt de ceux qui savent s’en servir dans leurs activités, est très différente de celle de la force physique ou intellectuelle.

L’économiste Marie-Claire Villeval, du laboratoire Gate de l’université Lyon-II, a montré par exemple dans plusieurs recherches que les femmes préfèrent la coopération dans leur travail alors que les hommes privilégient le modèle peut-être bientôt obsolète de la compétition. Non seulement la femme sera peut-être l’avenir de l’homme, mais elle pourrait aussi incarner le futur de l’économie.

Jean-Marc Vittori, Editorialiste aux « Echos »

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