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Joël de Rosnay

Guy Pujolle

Professeur à Sorbonne Université et membre du Conseil Scientifique du Groupe Orange / France Télécom. Il dirige ses recherches au LIP6 (CNRS/Sorbonne Université). Il a été nommé par le ministère de l’Éducation pour fonder le département d’informatique de l’Université de Versailles, où il a passé la période 1994-2000 en tant que professeur et directeur. Il a publié de nombreux articles dans les domaines de la modélisation et des performances des systèmes informatiques, de la théorie des files d’attente, des réseaux à haut débit, de l’intelligence en réseau, des réseaux sans fil et des réseaux post-IP.

Interview de Guy Pujolle du 22/09/2020

Par L’Usine Nouvelle

 

« La vraie révolution de la 5G vient de l’usage de datacenters »

Que recouvre exactement le sigle 5G et à quoi servira-t-il ? Pour comprendre l’architecture technique derrière ce nouveau standard de communication, L’Usine Nouvelle s’est entretenue avec l’informaticien Guy Pujolle, professeur émérite au Laboratoire d’informatique de Sorbonne Université (Lip6) à Paris et spécialiste des réseaux. Selon lui, la vraie révolution de la 5G réside dans l’usage de technologies d’optimisation numériques.

Plus rapide, plus réactive, plus personnalisée, voire plus écologique selon certains… La 5G semble renfermer en un sigle toutes les promesses d’un monde intelligent et connecté capable de nombreuses performances – sinon de faire revenir l’être aimé. Pour faire le point sur le contenu réel de ce standard de communication, aussi appelé new radio (NR) par les industriels, et ses promesses, L’Usine Nouvelle s’est entretenu avec Guy Pujolle, professeur émérite au laboratoire d’informatique de l’Université Sorbonne (Lip6), à Paris, et spécialiste des réseaux qui publie « Faut-il avoir peur de la 5G ? » aux éditions Larousse le 22 septembre.

L’Usine Nouvelle – Que recouvre le terme de 5G ?

Guy Pujolle.- C’est une nouvelle génération de communication mobile, qui est loin d’être totalement définie. Souvent, quand on mentionne la 5G aujourd’hui, référence est faite à la partie radio, du terminal à l’antenne. C’est là où l’on voit une augmentation du débit crête, qui sera 10 fois plus rapide que la 4G. Une seule antenne 5G pourra débiter 10 gigabits par seconde.

Mais ce qui se passe derrière l’antenne, qui n’est pas encore totalement spécifié, est au moins aussi important. Si l’on considère l’ensemble de la 5G, la spécification ne devrait être finalisée qu’en septembre 2021, voire probablement plus tard. Entre la spécification et le produit il faut compter en général de 18 mois à deux ans. Donc déjà, la 5G ne sera véritablement disponible qu’en 2024.

Comment expliquer les gains de vitesse promis ?

En réalité, la partie radio ne comporte aucune révolution par rapport à la 4G et permet seulement de gagner en débit. On arrive à moduler plus rapidement le signal, qui est transporté plus rapidement à des fréquences plus élevées. L’autre point notable, c’est qu’on va assister à une démultiplication des antennes, qui seront directives. Cela augmentera d’autant les débits reçus : si j’ai 10 antennes pour 10 personnes par exemple, chacun bénéficiera de la vitesse maximum de l’antenne. Le fait d’être directif revêt un autre avantage : permettre au signal de ne pas rebondir et d’éviter les effets d’écho (fading) qui interfèrent avec les signaux suivants sur un terminal. En ciblant le signal émis par l’antenne sur un terminal, ce qui s’appelle le beamforming, on parvient aussi à utiliser moins de puissance pour transmettre le même message.

Avec l’inconvénient que les ondes affectées à la 5G, autour de 3,6 Ghz puis de 26 Ghz, sont de courte portée…

Oui, plus les fréquences sont hautes, plus il faut de puissance pour aller à la même distance. Si on refuse d’augmenter la puissance des antennes pour des raisons de santé, ce qu’il faut continuer à faire, il y aura besoin de davantage d’antennes. Mais c’est compliqué : les ondes millimétriques, notamment, sont très sensibles aux obstacles. Elle ne passent pas une feuille de papier. Il faudrait alors des antennes tous les dix mètres pour construire une vision directe entre l’antenne et le terminal.

Au-delà du signal radio, que change la 5G ?

La vraie révolution vient de l’usage de datacenters [centres de données, ndlr]. En résumé, ces serveurs numériques vont virtualiser toutes les fonctions auparavant prises en charge par des éléments matériels de l’antenne. Par exemple, quand une antenne reçoit un signal, il faut le traiter, éliminer les interférences. Alors que ce travail était localisé sur l’antenne en 4G, il aura lieu dans un centre de donnée en 5G. L’antenne ne sera là que pour transmettre le signal. Cela permettra ensuite du network slicing : dans les centres de données, il sera possible de créer des réseaux spécifiques pour différents usages, par exemple l’un pour connecter les machines-outils de l’industrie 4.0. et l’autre pour regarder du football, ou conduire les voitures autonomes. Et chaque tranche virtuelle aura les protocoles adaptés.

Bientôt ce sera un réseau par personne… 

C’est ce qui est prévu ! A long-terme, la 6G travaille sur le développement de cette technologie de network slicing pour avoir non plus une vingtaine de réseaux pour autant de grands services, mais bien davantage. L’idée est de créer le réseau quand le client se connecte. Mais c’est encore très discuté, car il faudrait des milliards de réseaux. On ne sait pas encore bien comment contrôler tout cela.

A quoi doivent servir ces avancées ? Certains parlent de regarder du porno dans des ascenseurs, ou de contrôler l’arrosage automatique des parcs… Deux choses qui sont déjà possibles.

Contrairement à ce qu’on entend, la 5G n’est pas dirigée vers le grand public et le très haut débit. Les applications sont plutôt orientées vers les entreprises. Pour résumer, la 5G va dans trois directions : l’internet massif des objets ; le très haut débit en mobilité (par exemple pour regarder des vidéos en haute-définition dans un train) ; les missions critiques. Dans ce dernier cas, on peut penser à des machines-outils bénéficiant de temps de latence très courts. De quoi les piloter en temps réel, à la milliseconde près. De la même manière, la 5G permet d’imaginer de la chirurgie à distance. Un médecin à 5000 kilomètres d’un patient pourra l’opérer avec un retour haptique en temps réel. Ce qui n’est absolument pas réalisable avec les technologies précédentes.

Vous parlez d’internet des objets, mais de nombreux dispositifs existent déjà et tournent très bien sans 5G. Ne risque-t-il pas d’y avoir concurrence avec d’autres réseaux, notamment bas-débit et peu consommateurs ?

Dans les prochaines années, le nombre de capteurs va se démultiplier. Leur débit sera faible mais l’enjeu est de répondre à cette nouvelle densité. La 5G proposera pour cela des solutions plus fiables et consommant moins d’énergie que la 4G. Comme les opérateurs 5G aimeraient bien récupérer l’ensemble du marché de l’internet des objets (IoT), cette nouvelle génération sera donc en compétition avec les réseau IoT LoRa ou Sigfox [développés pour des applications IoT bas-débit et basse-consommation]. Mais elle sera aussi en compétition avec les constellations de satellites, qui visent eux aussi l’IoT.

Avec des usages décuplés, la question de la consommation énergétique de la 5G se pose…

La consommation de l’antenne est faible, car il n’y a plus les fonctions qu’elle supportait en 4G et qu’elle a été pensée dès le début pour diminuer sa consommation. Elle pourra par exemple s’éteindre quand elle n’est pas utilisée. Par contre, les datacenters consommeront de l’énergie, donc son impact global est pour l’instant très dur à calculer. Dans mon livre, j’estime que la consommation devrait être à peu près constante, mais il est vrai qu’elle pourrait augmenter si les usages explosent.

 

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