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Ils partagent leur vision.
Jon Kabat-Zinn

 

Jon Kabat-Zinn

Fondateur du Center for Mindfulness in Medicine, Health Care, and Society

Professeur émérite de médecine, Jon Kabat-Zinn a fondé et dirige la Clinique de Réduction du Stress (Stress Reduction Clinic) et le centre pour la pleine conscience en médecine (Center for Mindfulness in Medicine, Health Care, and Society) de l’université médicale du Massachusetts. Il enseigne la « méditation de la pleine conscience » (mindfulness meditation) comme une technique destinée à aider les gens à surmonter leur stress, leur anxiété, leur douleur et leur maladie. Il est membre du conseil d’administration du Mind and Life Institute, qui a pour but de promouvoir un dialogue entre la science et le bouddhisme.

Interview de Jon Kabat-Zinn du 27 avril 2015

Par Aurélien Viers, L’Obs.

« Si vos salariés ne sont pas heureux, vos clients non plus »

Pour Jon Kabat-Zinn, qui a créé un programme de réduction du stress basé sur la méditation, l’entreprise doit se préoccuper du bien-être de ses salariés – pour le bien de tous.

Comment expliquez-vous le regain d’intérêt pour la méditation ces derniers temps, notamment en France, où 60 livres ont été publiés sur le sujet ces 6 derniers mois ?

Je vais prendre l’image d’un courant, d’une rivière. Parfois, en raison d’un barrage, l’eau ne peut s’écouler. Mais quand la pression devient trop forte, la digue cède.

J’ai l’impression que c’est ce qui se passe en ce moment, notamment en France. En Occident, la méditation n’est pas vraiment dans notre culture, en tout cas pas aux Etats-Unis !

La médecine a été le point de départ pour introduire ce programme de réduction du stress. L’idée fut de s’inspirer des principes de la méditation bouddhiste et du yoga, pour les faire évoluer et y sensibiliser des patients, en complément du travail des médecins. Maintenant, on se rend compte que la méditation est accessible à tout le monde, pas seulement les personnes malades.

Pour la France, je pense que le barrage est symbolisé par… Descartes. En France, on ne mélange surtout pas la religion avec la science, le rationnel. 

Mes premiers livres ont été traduits et publiés à une vitesse record en Allemagne, ainsi que dans d’autres pays européens. Pour la France, ça a pris beaucoup plus de temps !

Pourtant, j’ai passé une année en France, au lycée Henri-IV. Je me suis longtemps demandé : pourquoi les Français ne sont pas intéressés ? Mais j’ai l’impression que vos compatriotes rattrapent le temps, au vu des nombreuses publications sur le sujet.

Par ailleurs, l’Association pour le développement de la mindfulness multiplie les programmes, notamment pour former des instructeurs. Pareil pour la recherche : Jean-Gérard Bloch a ouvert à l’université de Strasbourg un diplôme “Médecine, méditation, et neurosciences”. Rien de tout cela n’existait il y a encore 5 ou 10 ans.

L’esprit français ne semble pas complètement incompatible avec la méditation, vous commencez “Où tu vas, tu es”, par une citation de Pascal…

Oui ! C’est la preuve que la France n’est pas hermétique à la méditation.

C’est une phrase que j’aime beaucoup : « Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas se tenir en repos dans une chambre ».

Je veux faire comprendre au public français que l’un de ses plus grands mathématiciens et philosophes a déclaré cela il y a 400 ans !  En même temps, essayez de vous asseoir seul et de ne rien faire, c’est très difficile !

La méditation demande beaucoup d’entraînement. Ce n’est pas un catéchisme, ni une philosophie, ni une technique : c’est une manière d’être. Mais au final, c’est très épanouissant, et cela ressemble plus à un jeu qu’à du travail.

En parlant du travail, la méditation commence à se développer au sein de l’entreprise, pour vous c’est une suite logique ?

Oui. Les salariés sont de plus en plus stressés. On pourrait dire : le travail ne fonctionne plus pour les gens (dans le texte : “work no longer works for people, ndlr”).

Ils ont tellement de tâches qu’ils ne savent plus qui fait quoi, ce qu’ils font eux-mêmes, et surtout pourquoi.

On peut être débordé, sans que cela soit vraiment utile à quiconque. Il faut apprendre à travailler de manière plus intelligente, pas forcément davantage.

Le sens de votre travail doit faire écho à quelque chose en vous, à votre “être”. C’est à ça que devrait ressembler une entreprise idéale : que tout le monde garde en tête pourquoi on travaille, dans quel but. Et cette philosophie doit se retrouver à tous les échelons de l’organisation, du PDG aux clients.

Si vos salariés ne sont pas heureux, personne ne le sera, y compris les clients. Le modèle fordiste a vécu.

Les entreprises sont si compétitives et l’environnement change si vite, que l’on ne peut plus travailler comme avant. Comme Charlie Chaplin dans les Temps modernes, répétant mécaniquement les mêmes gestes, sans aucun sens.

Si c’est ça mon travail, je suis à 10%, 20% de mes possibilités. Les autres 80% – par exemple tout mon potentiel de créativité – ne sont pas sollicités.

Mais si vous changez les règles et que vous voulez que les gens arrivent au travail et se donnent à 100%, vous pouvez susciter un environnement collectif, qui favorise l’innovation, repère plus vite les problèmes cruciaux.

Si les managers ne sont pas sensibles à ces dysfonctionnements, leur navire pourrait vite prendre l’eau. C’est pourquoi je pense que la méditation au travail peut être bénéfique pour tous.

Ne craignez-vous pas que la mindfulness devienne un argument un peu facile utilisé par certaines directions, en entreprise, sur l’air : “Je vous fixe des objectifs inatteignables, et si vous stressez, vous n’avez qu’à faire un stage de méditation” ?

Depuis la nuit des temps, il y a toujours eu cette tentation de pressurer au maximum ses employés. Mais cela ne marche plus, et cette vision cynique du travail devient de plus en plus caduque. Surtout dans des environnements très compétitifs. Si vous travaillez à Facebook et que cela vous arrive, vous partez travailler chez Google !

Ce n’est pas étonnant que tous les grands de la Silicon Valley développent des programmes de méditation pour leurs employés.

On est en fait dans une redéfinition du travail. On voit même des secteurs comme la banque, les assurances, la finance se mettre à réfléchir et à introduire des programmes de méditation – même chez Goldman Sachs ! Si les programmes sont bien appliqués, la méditation peut potentiellement transformer beaucoup de choses, dans un sens positif.

J’appellerai ça la « sagesse dans l’entreprise » (“wisdom in business”), ou encore la compassion ou l’altruisme au travail, pour reprendre l’expression de Matthieu Ricard.

Pourquoi ne pas le tenter ? Ce serait bénéfique à tous ! Si c’est fait sincèrement, à votre échelle, vous pouvez contribuer à changer le monde.

A la fin du XXe siècle, on a beaucoup incité les gens à faire de l’exercice physique, pour être en meilleure santé. Pensez-vous que le grand public pourra aujourd’hui s’intéresser à sa “forme mentale” et se mettre à la méditation, qui demande une pratique quotidienne d’au moins 20 minutes ?

Il y a des millions de gens qui pratiquent déjà la méditation tous les jours – et souvent 45 minutes. On a ainsi démontré que le grand public peut aussi s’y mettre.

Les gens s’y intéressent surtout pour le moment quand ils sont malades ou stressés. Mais pourquoi ne pas s’y mettre préventivement ? Avant votre crise cardiaque, votre burn-out ? Mais il ne faut pas se contenter de lire des livres, il faut pratiquer assidûment ! Si vous ne faites que regarder le Tour de France sans enfourcher votre bicyclettte, vous ne progresserez pas en vélo !

Ce que je pense, c’est que la méditation peut changer le monde, nous empêcher de nous entre-tuer, ou encore de polluer l’atmosphère. La méditation a donc des implications économique, sociologique, et même politique.

On a besoin de davantage d’études scientifiques, de recherches. La méditation a le pouvoir d’initier une renaissance mondiale, encore plus vaste que la Renaissance du XVIe siècle !

Il y a eu des études scientifiques récentes prouvant l’efficacité de la méditation en cas de dépression, d’autres nuançant le réel effet sur la santé, que leur répondez-vous ?

Oui, il y a eu des études évoquant des effets modérés. Notamment une grande étude du très influent « Journal of American medical association », venant de 33 chercheurs , qui a conclu que les effets étaient modérés.

Mais les auteurs ont mélangé la méthode de méditation MBSR (Mindfulness-based stressed reduction, créée par Kabat-Zinn), avec d’autres techniques, donc c’est difficile d’en tirer des interprétations.

Par ailleurs, les tests ont été réalisés avec des instructeurs qui n’étaient peut-être pas tous au niveau… Mais de nouvelles études pourraient mesurer uniquement la technique MBSR avec des formateurs éprouvés. C’est comme cela que la science progresse : par des expérimentations.

 

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