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La résistance au changement. Oui, la sempiternelle résistance au changement. On y est confronté tous les jours. Chez les autres, bien sûr, mais aussi, parfois – lorsqu’on ose enfin se l’avouer – chez nous-mêmes. Et l’ennui, c’est qu’on ne sait jamais comment faire pour l’atténuer, pour ne pas dire la surmonter.

La bonne nouvelle du jour, c’est qu’une étude permet d’être désormais moins démuni face à ce redoutable phénix. Celle-ci est intitulée Resistance to change in recent Italy: Some elements for a theoretical framework. Et est signée par deux professeurs d’économie : Nicolo Bellanca, de l’Université de Florence (Italie); et Stefania Innocenti, de l’Université des Nations unies à Maastricht (Pays-Bas).

Les deux chercheurs se sont posé une question intéressante : l’Italie est frappée par une crise économique dévastatrice depuis plusieurs années, comment se fait-il alors que les Italiens semblent si amorphes, c’est-à-dire si peu prompts à retrousser les manches pour changer ce qui ne va pas? Pis, pourquoi semblent-ils se complaire dans la misère, riant même sous cape des coups durs qui arrivent aux uns et aux autres au lieu de compatir et d’enfin unir leurs forces pour voler à leur secours ?

Pour tenter d’y répondre, ils ont adopté une approche d’économistes. Ils ont usé de ce qu’on appelle la théorie des jeux, laquelle sert à mieux comprendre comment les gens réagissent lorsqu’ils sont confrontés à une situation particulière (dilemme, etc.). Plus précisément, ils se sont penché sur une trouvaille faite l’an dernier par Gambetta & Origgi, le « paradoxe du jeu perdant-perdant ».

De quoi s’agit-il ? Vous allez voir, c’est très simple…

Imaginons deux personnes, A et B, qui jouent à un jeu de stratégie pure. Chacune doit faire un choix : coopérer avec l’autre (X), ou au contraire refuser de coopérer avec elle (Y). Il y a donc quatre types de combinaisons possibles liés aux attitudes choisies par A et B :

1. A et B coopèrent tous les deux (X, X) ;

2. A choisit de coopérer (X), mais pas B (Y) ;

3. B choisit de coopérer (X), mais pas A (Y) ;

4. Ni A ni B ne coopère (Y, Y).

Disons maintenant que des récompenses sont attribuées en fonction des attitudes adoptées par A et B. Et que le but est pour chacun, bien entendu, de s’en sortir avec la récompense la plus élevée possible. Ce qui donne ceci :

1. A gagne 2 points, B gagne aussi 2 points (soit 2,2) ;

2. A gagne 1 point, B gagne 3 points (1,3) ;

3. A gagne 3 points, B gagne 1 point (3,1) ;

4. Là, normalement, A et B devraient être tous deux perdants. Mais la trouvaille de Gambetta & Origgi est justement qu’il peut arriver un cas de figure particulier où, étrangement, chacun considère comme une bonne chose que l’autre perde et se moque, dans le fond, de perdre lui aussi du même coup. Résultat? A empoche dès lors 4 points, et B aussi (4,4).

Paradoxal, n’est-ce pas? Il peut donc arriver que deux personnes cherchent à perdre au lieu de gagner, pourvu que leur perte entraine automatiquement celle d’autrui. Et c’est ce point-là qui a fasciné M. Bellanca et Mme Innocenti, lesquels se sont dit que cela pouvait peut-être expliquer la curieuse attitude des Italiens face à la crise économique actuelle.

Dans un premier temps, ils ont regardé si ce paradoxe se vérifiait dans d’autres jeux issus de la théorie des jeux, comme le dilemme du prisonnier, dont j’ai déjà parlé dans de précédents billets de blogue. Et ils ont constaté que celui-ci se produisait bel et bien dans tous ceux-ci.

Dans un deuxième temps, ils ont transposé la trouvaille de Gambetta & Origgi dans différentes théories économiques classiques, à l’image de celle du Norvégien Trygve Haavelmo, qui veut que les consommateurs sont, dans certains cas de figure, contraints de faire des « choix involontaires », soit des choix qui ne leur conviennent pas mais qu’ils ne peuvent pas ne pas faire. Et là encore, les deux chercheurs ont noté que le paradoxe entrait parfaitement dans le cadre de ces théories.

Enfin, dans un dernier temps, ils ont cherché à comprendre ce qui faisait qu’une personne décidait d’entrer dans un cercle vicieux plutôt que dans un cercle vertueux. Autrement dit, ce qui faisait qu’elle préférait « rationnellement » la nuisance d’autrui au bien-être commun, voire à son propre bien-être.

M. Bellanca et Mme Innocenti ont alors découvert deux choses passionnantes :

> Préserver une inégalité. Disons qu’il y a inégalité au départ, par exemple qu’A est plus riche que B. A a alors « raisonnablement » tout intérêt à refuser de coopérer avec B, car il s’en sortira forcément mieux que lui. En effet, si B décide de coopérer, il sera le grand perdant, et s’il décide de ne pas coopérer, il ne sera « que » perdant, tout comme A. Cette stratégie permettra à A de préserver l’inégalité à son avantage.

> S’enfoncer à deux dans le sable mouvant. Disons que la situation soit mauvaise au départ, par exemple que A et B sont tous deux dans la mouise (ils sont au chômage dans une économie en récession). Déprimés, les deux ne vont pas croire que la situation puisse s’améliorer, même s’ils décidaient de s’entraider. Ils vont alors être amenés à refuser de coopérer, car ils savent que cette attitude leur permettra de ne pas sombrer plus que l’autre. Du coup, chacun va voir l’autre s’enfoncer dans le sable mouvant, au même rythme que lui, en riant peut-être même sous cape.

Voilà. Une personne peut refuser de coopérer avec autrui – et donc, de manière plus large, peut résister à toute forme de changement – pour deux raisons malheureusement tout à fait logiques. D’une part, pour préserver l’avantage qu’elle a sur les autres; d’autre part, pour empêcher autrui de prendre un avantage sur elle. Fascinant, n’est-ce pas?

Maintenant, comment peut-on contrer cette dangereuse spirale ? Eh bien, en intervenant simultanément sur ces deux freins :

> Rassurez tout un chacun. Lorsque vous expliquez à tout le monde le changement qui doit être entrepris ensemble, rassurez chaque membre de votre équipe quant aux conséquences concrètes que cela aura pour lui. Soulignez bien que cela n’affectera pas la dynamique actuelle, à savoir que ce qui ne changera pas (ou très peu), ce sont les rôles et fonctions de chacun par rapport aux autres. Pourquoi? Parce que ce message permettra de faire comprendre à ceux qui pensent qu’ils ont un « avantage » quelconque sur les autres qu’ils en bénéficieront toujours. Et parce qu’il permettra à chacun de saisir qu’il n’aura pas ainsi l’occasion de prendre un « avantage » sur autrui, si bien que personne ne sera tenté de faire sombrer les autres avec lui dans le sable mouvant. CQFD.

À vous, par conséquent, de jouer. Montrez-vous on ne peut plus rassurant quant au maintien de la dynamique de l’équipe, et vous éviterez le cercle vicieux du paradoxe de Gambetta & Origgi.

En passant, Molière a dit dans Psyché : « Je regarde ce que je perds / Et ne vois point ce qui me reste ».

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