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Loïc Hislaire & Philippe d'Iribarne

 

Loïc Hislaire & Philippe d’Iribarne

Conseiller de Guillaume Pepy, Loïc Hislaire quitte la SNCF, non sans laisser son testament managérial, l’ouvrage « Le Triangle du manager », préfacé par le sociologue Philippe d’Iribarne.

 

Interview de Loïc Hislaire et Philippe d’Iribarne du 03 avril 2017

Par Les Echos

« La psychologie du personnel n’intéresse pas le management »

Loïc Hislaire, Philippe d’Iribarne, toutes les entreprises parlent de transformation : pour autant, ce chantier n’a jamais semblé aussi ardu. Pourquoi ?

Loïc Hislaire : Les placards de la SNCF débordent d’études et de baromètres en tous genres sur le corps social et les transformations, dont les résultats ne sont jamais mis en regard les uns des autres. Or la conduite du changement implique de cerner les motivations profondes des cheminots, qui constituent un corps très particulier. Il faut savoir comprendre leur fierté du métier et du chemin de fer, et surtout le contrat moral implicite passé avec l’entreprise, une somme de promesses reçues sur lesquelles ils ne transigeront pas.

Philippe d’Iribarne : L’entreprise se préoccupe de la psychologie du client, mais sa connaissance de la psychologie du personnel est limitée. Les managers ont intériorisé la vision selon laquelle une trop forte attention ou empathie envers les salariés serait un signe de faiblesse, de renoncement au changement alors que c’est a contrario lorsque l’on souhaite faire évoluer les comportements qu’il faut en examiner les ressorts. Plus on veut muter, plus il faut s’attarder sur l’existant.

Entre transformation et dégradation du cadre de travail, il n’y a qu’un pas…

Loïc Hislaire : Le boulot managérial, c’est d’expliquer le sens et le but d’une décision, de comprendre sur quel terrain elle va s’ancrer et de créer les conditions d’une mise en oeuvre efficace. Si dans sa vie quotidienne le salarié doit entrer dix mots de passe successifs avant de pouvoir accéder à une application et que d’autres irritants l’empêchent quotidiennement de bien faire son travail, il restera hermétique au vent du changement. D’autant que le cheminot est persuadé d’être le seul à connaître son métier. D’ailleurs, il n’a pas tort car son responsable direct n’est pas toujours le mieux placé pour apprécier son activité, son jugement pouvant être faussé par un tas de considérations liées à ses relations quotidiennes avec l’agent.

Philippe d’Iribarne : L’art du management, c’est une contribution positive au changement. A la RATP, dont le corps social est pourtant réputé résistant, l’automatisation de la ligne 14 et la disparition du conducteur se sont faites sans éclats grâce à un processus participatif intégrant les idées de la base (très bien relaté dans l’ouvrage de Jean-Pierre Segal, « Efficaces ensemble »). Les organisations oublient trop facilement qu’une décision doit être vécue comme juste. Une décision ressentie comme injuste produit un effet dévastateur sur le salarié, perdu et démotivé pour longtemps.

Vous qualifiez le travail de Loic Hislaire d’« investigation », est-ce un coup de griffe envers les consultants ?

Philippe d’Iribarne : Sa démarche lui a en effet permis d’échapper à l’application mécanique, aussi paresseuse qu’inefficace, des bonnes recettes de management supposées valides en tous lieux. Plutôt que de tenter d’éradiquer la culture cheminote, il en a fait son socle.

La SNCF semble percluse de paradoxes : la notion d’équipe est forte et pourtant les processus participatifs que tous les managers cherchent à instiller ne sont pas spontanés ?

Loïc Hislaire : La réalité du travail étant souvent bien différente du descriptif de la feuille de poste, les cheminots développent un engagement qui va au-delà du travail prescrit. Rares sont ceux qui rechignent devant un imprévu ou un aléa du trafic car la SNCF est une addition de collectifs experts dans leur métier. Le volontariat est spontané mais, à l’inverse, toute contrainte imposée de l’extérieur est mal vécue. En revanche, ce qui est plus compliqué, c’est de réussir l’intermétier, c’est-à-dire à mixer les équipes sol-bord, l’accueil à quai avec le contrôle, en somme d’organiser une sorte de polyvalence, vue avec circonspection.

Philippe d’Iribarne : Un métier n’est pas un simple assemblage de tâches. A une époque, la SNCF souhaitait rapprocher, en banlieue, les missions de contrôle et de commercial : le même individu devait allier la courtoisie du vendeur et l’autorité du contrôleur, ce qui était antinomique. C’était un peu l’histoire de Maître Jacques, chez Molière, qui est à la fois cuisinier et cocher, suscitant potentiellement des situations comiques.

La théorie de l’ouvrage « Le Triangle du manager » définit que le salarié s’épanouit à condition d’être fier de ses missions exercées dans un cadre convivial garantissant un équilibre entre vies privée et professionnelle. Le manager a-t-il la main sur ces sujets ?

Loïc Hislaire : La mission des managers est précisément d’assurer un équilibre de la vie au travail. A l’issue de chaque journée, les bons aspects doivent peser plus lourd que les mauvais. Leur responsabilité est de trouver l’équilibre entre les contraintes extérieures et les exigences internes du travail, entre le travail, l’entreprise et les personnes. C’est un travail compliqué car nombre de données interfèrent : les exigences émotionnelles, les rapports sociaux, les conflits de valeurs notamment entre opérateurs privé et public dans le débat actuel…

Philippe d’Iribarne : Les salariés sont spontanément engagés mais différentes injonctions peuvent peser sur leur motivation et c’est là que nichent les risques psychosociaux, mal-être, découragement, absentéisme, etc. Aujourd’hui, on parle volontiers d’« empowerment », une notion positive, mais en négligeant le fait que les attendus dépendent beaucoup des cultures. D’une mission menée récemment sur l’engagement des trieurs d’ordures au Mexique, il s’est avéré que leurs attentes étaient très différentes de celles manifestées par les ouvriers suédois, ce qui est contre-intuitif.

Le livre montre que performance économique et sociale sont compatibles. Pourquoi est-ce si difficile à démontrer ?

Loïc Hislaire : Parce que le social n’est apprécié qu’à travers la masse salariale et ne rentre pas dans le raisonnement financier. La facture des dysfonctionnements (mal-être, absentéisme) et des coûts cachés n’est pas chiffrée. L’absentéisme est seulement abordé comme un mal à traquer et à combattre. En conséquence, l’entreprise ne peut pas en faire un terrain d’investissement et de performance. En 2011, sous l’impulsion de Guillaume Pepy, [Loïc Hislaire était alors directeur des relations sociales, NDLR], nous avions lancé un programme d’amélioration de la qualité de vie au travail des cheminots. Les effets du programme, auquel la SNCF a alloué un budget de 50 millions d’euros, ont été positifs, l’enveloppe a été intelligemment dépensée mais sans que les actions conduites soient mises en regard d’un retour sur investissement. C’est une voie à poursuivre pour montrer qu’investir dans l’humain est également « rentable ».

(*) « Le Triangle du manager », Cherche Midi

 

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