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Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à se revendiquer « customer centric » ou, a minima, à avoir engagé un programme de transformation pour le devenir. Nous avons pu mesurer l’écart qui existe entre les discours et la réalité.

Combien d’entreprises sont réellement orientées clients ? Qu’est ce qui les caractérise ? Que manque-t-il à celles qui sont en retard ou à celles qui risquent de passer à côté de cette transformation ? Autant de questions auxquelles il est nécessaire de répondre pour passer des discours aux actes.

Après avoir évalué la culture client de 115 entreprises françaises et 25 000 collaborateurs à l’aide de la méthode COS (Customer Orientation Score), nous avons distingué quatre groupes d’entreprises que nous pouvons schématiquement positionner dans une matrice représentant la culture client de l’organisation et la culture client des collaborateurs.

La culture client de l’organisation correspond à la présence ou à l’absence des signes, des preuves, des actes ou encore des process perçus et interprétés par les collaborateurs comme la démonstration que leur entreprise se préoccupe avant tout de la satisfaction de ses clients. La culture client des collaborateurs mesure, grâce à une méthodologie issue des neurosciences, le niveau de « préoccupation client spontanée » (ou « mécanique ») de chaque collaborateur de l’entreprise. Entreprise par entreprise, une moyenne est effectuée.

Les « génétiques »

11% des entreprises diagnostiquées sont « tombées dedans quand elles étaient petites » : elles sont au-dessus de la moyenne dans toutes les dimensions de la culture client, notamment en ce qui concerne l’exemplarité des managers et la réactivité aux demandes des clients. Les équipes, très flexibles, y ont une véritable autonomie et une vraie liberté d’action pour s’adapter aux besoins et aux demandes des clients.

On retrouve plutôt dans ce groupe des entreprises telles que des PME prestatrices de services intellectuels et des industriels en B to B dont le cœur de métier nécessite par nature de la flexibilité pour une forte adaptabilité aux demandes des clients. Toutefois, plusieurs leaders mondiaux en distribution spécialisée apparaîssent également dans ce groupe.

Chez elles, la culture client dépasse même les individus en poste, on parle d’une culture « corporate » exceptionnelle. Ces sociétés, pour certaines créées il y a plus de 30 ans, ont été fondées sur cette préoccupation, qui fait donc entièrement partie de la culture de l’entreprise. D’autres, récemment constituées (des start-up, pour la plupart) et issues « du nouveau monde », ont cette préoccupation « native » de « faciliter la vie des clients ».

Chez les « génétiques », on a compris que l’obsession client est un levier de réussite commerciale. Cette obsession est impulsée à un niveau stratégique comme à un niveau managérial quotidien. Par exemple, un directeur d’hypermarché a décidé de bâtir un abri voiture sur son parking (réclamé depuis longtemps par les clients) et a profité de cet investissement pour installer des panneaux photovoltaïques qui prennent en charge l’électricité de tous les réfrigérateurs de l’hyper. Récemment on a aussi vu Kiabi, Etam ou Décathlon tester les cabines d’essayages connectées, donnant la possibilité aux clients de demander aux vendeurs d’apporter le bon produit ou bonne taille directement en cabine ; une solution qui permet d’optimiser l’expérience client comme les ventes.

Ce qui les caractérise :
– La direction change peu.
– Les jeux de politiques internes sont absents.
– La prise de risque et la prise d’initiative sont valorisées.
– Priorité est donnée à l’innovation.

«  L’ancien monde »

Le niveau de culture client de ces entreprises de « l’ancien monde », qui représentent 29% de l’échantillon, est particulièrement faible. La satisfaction des clients n’étant clairement pas centrale pour leurs dirigeants, la priorité n’a pas été donnée aux clients, que ce soit en matière de stratégie, d’organisation ou de process. Les collaborateurs ont le sentiment que leurs objectifs business ne prennent pas en compte la satisfaction des clients car leurs primes, leurs augmentations et leurs évaluations ne dépendent absolument pas de leur capacité à satisfaire et/ou à fidéliser les clients.

La plupart sont de grande taille, compte un très grand nombre de clients, et ont souvent une forte culture produit. Notons que l’on retrouve des entreprises au profil similaire dans le groupe des « génétique » : il n’y aurait donc pas de déterminisme sectoriel en matière de culture client.

Créées il y a plus de 30 ans, elles sont issues d’un « ancien monde », celui d’une certaine forme d’arrogance et de la croyance dans la toute-puissance de la marque. Leurs dirigeants ne croient pas au changement de paradigme imposé par « l’horizontalisation » des rapports marques-consommateurset ne semble pas avoir l’intention de changer, au moins à court terme. Par ailleurs, elles souffrent plus que les autres de la tension sur les marchés traditionnels.

Ce n’est pas tant la culture client individuelle des collaborateurs qui y freine le développement de la culture client, mais bel et bien le manque de préoccupation client des dirigeants. Dans ces entreprises, les collaborateurs se déclarent moins heureux, ce qui se reflète dans les interactions avec les clients.

Les « asymétriques »

Les « asymétriques » (25% des entreprises) sont en général des sociétés B to B composées d’équipes sur le terrain, souvent en région, expertes de leur métier (qui peut être assez technique), qui gèrent un portefeuille client ou un territoire avec une grande autonomie. Ces équipes sont réellement préoccupées par la bonne gestion des clients : l’autonomie qui leur est donnée leur permet de réagir rapidement, de répondre aux demandes et de traiter les réclamations. Elles cherchent à créer un relationnel fort avec leurs clients.

Le danger majeur, pour ces entreprises, provient du manque d’implication du management central (top management et management intermédiaire) dans l’orientation client, ce qui réduit souvent à néant les efforts individuels des collaborateurs sur le terrain. Ces entreprises ne sont pas organisées autour du client. Les fonctions supports sont souvent un frein au management de la bonne relation client.

On y trouve des « barons » locaux qui passent outre une grande partie des directives du siège pour agir conformément à leurs croyances, et en faveur des clients. Malheureusement, la somme des bonnes volontés individuelles ne fait pas une culture d’entreprise. Sans prise de conscience par les dirigeants de la nécessité de se transformer, ces entreprises risquent de creuser le fossé entre ceux qui sont au contact des clients et les services centraux. Et ce au détriment de l’intérêt des clients.

Les « volontaires »

Ces entreprises, les plus nombreuses (35%), sont en train de se transformer favorablement, de gré ou de force selon les cas. Le management a clairement affiché ses ambitions en matière de capital client et a mis en place une stratégie claire pour y parvenir, ainsi que des indicateurs clés de performance qui intègrent des données de performance client. Plus que dans les autres entreprises, les collaborateurs ont le sentiment que la qualité de leur travail vis-à-vis des clients est valorisée.

Historiquement, ces entreprises n’étaient pas du tout orientée client, il existe donc encore une forte orientation vente et/ou production, mais aussi d’importantes préoccupations politiques en interne. L’évolution y est récente car la culture client n’a pas (encore ?) atteint toutes les strates de l’organisation (pas d’autonomie des équipes, peu de rapidité de réaction et d’implication dans la gestion des réclamations). Le management intermédiaire n’est pas encore totalement convaincu, et la culture client individuelle des équipes est plutôt faible (personnel historiquement recruté sur d’autres qualités). Les dirigeants, eux, ont pris la mesure du problème et mettent de l’énergie à la transformation.

Malheureusement, le projet de transformation se limite trop souvent à la mise en place de nouveaux process et de nouveaux indicateurs. Faute de connaissance et d’accompagnement sur l’ensemble des leviers culturels, la transformation de ces entreprises peine à être effective malgré la bonne volonté affichée. Il manque la capacité à inscrire la préoccupation client à tous les niveaux de l’organisation (chaque service, chaque métier, quel que soit le niveau managérial). La nomination d’un « customer happiness manager » ne suffira pas à véritablement changer la culture des entreprises.

Le risque que courent les dirigeants de ces entreprises est de prendre trop souvent la parole sans contreparties effectives en matière de décisions. Prenons l’exemple des collaborateurs d’une grande société de distribution qui ont entendu leur DG, dans le même discours, annoncer la nouvelle stratégie « obsession client » et le gel des investissements pour la refonte de la carte de fidélité devenue obsolète.

Cette typologie bat en brèche de nombreuses idées reçues. Ainsi, elle démontre qu’il n’y a pas de logique sectorielle, ni de taille, ni de modèle (B to B ou B to C) qui permettent de comprendre ou de prédire le niveau de culture client des entreprises. Il ne semble donc pas y avoir de réel déterminisme en la matière. Tout est donc entre les mains des dirigeants (et, accessoirement, des actionnaires), à qui nous adressons deux conseils simples :

1. Ne confondez pas culture client (c’est-à-dire les croyances et les valeurs véhiculées au sein de l’entreprise via de nombreux signes soumis à l’interprétation des collaborateurs) et investissements pour l’optimisation de la satisfaction client. Un tel raccourci est non seulement fallacieux, mais surtout dangereux : la culture client est le terreau qui favorisera l’optimisation de l’expérience client. Et s’occuper d’abord de la qualité du terreau, c’est investir de façon rentable pour de meilleures récoltes.

2. Ne prenez pas la parole avant d’avoir agi, car cela est destructeur pour la culture client. Vous pensez bien faire en voulant mobiliser les équipes (au mieux) ou en voulant faire croire à vos clients que vous avez changé (au pire) mais, au contraire, vous tombez dans le « customer washing » en donnant à voir ouvertement le gouffre qu’il existe entre les discours et les pratiques.

Source :  D. Ray, professeur de marketing à Grenoble Ecole de Management  

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